Dans une série de quatre articles, Ici Beyrouth revient sur trois éléments clés du contentieux frontalier libano-israélien et un quatrième, tombé dans l'oubli. Le premier porte sur le tunnel de Ras Naqoura, propriété de l'État libanais, inscrit au registre foncier sous le numéro 28/Naqoura, mais qu'Israël a transformé en zone touristique, depuis qu'il l'a occupé.
Le «package deal» sur lequel portent les négociations qui visent à mettre fin au conflit à Gaza et à rétablir le calme au Liban-Sud, devra tenir compte, côté libanais, de la question de la délimitation des frontières terrestres entre le Liban et Israël.
Ce dossier a refait surface avec le début de la guerre à Gaza, le 7 octobre dernier, ayant été soulevé, à maintes reprises, par l’émissaire américain, Amos Hochstein, lors de ses multiples visites à Beyrouth, dans le cadre des efforts qu’il mène pour une sortie de crise. Selon des sources bien informées, les pourparlers à ce sujet sont déjà en cours et se concrétiseront une fois la guerre entre Israël et le Hamas finie.
Parmi les points litigieux qui devront être résolus dans ce contexte, figure celui du tunnel de Ras Naqoura, dont une partie est occupée par Israël, mais qui est revendiqué par le gouvernement libanais.
Point frontalier qui reliait le Liban à la Palestine, le tunnel de Ras Naqoura est, selon les documents officiels, une propriété de l’État libanais, qui n’y exerce cependant aucune emprise, puisqu’il est sous entière occupation israélienne. L’État hébreu a bloqué sa sortie, côté libanais, en faisant construire un mur en béton.
Il fait partie tant des 13 points litigieux au niveau de la Ligne bleue (la ligne de retrait établie par l’ONU, après le départ des forces israéliennes du Liban, en 2000) que des 18 points litigieux qui ont vu le jour au lendemain de l’installation, par les forces israéliennes, de la barrière technique au-delà de la Ligne bleue.
Pour comprendre en quoi cette zone est triplement contestée, il faut revenir aux délimitations antérieures des frontières entre les deux pays. On sait que la frontière entre le Liban et Israël s’étend de Ras Naqoura au fleuve Wazzani, alors que celle avec la Syrie s’étend du fleuve Wazzani au Golan, occupé aujourd’hui par les forces israéliennes. Or, entre le Liban et Israël, il n’existe pas une, mais trois principales frontières. Quelles sont ces frontières?
La ligne Paulet-Newcombe: une première délimitation
Le 7 mars 1923, soit au lendemain de la première guerre mondiale, les gouvernements français et britannique concluent un accord qui délimite les frontières entre le Liban et la Syrie d’une part et la Palestine d’autre part, pour se partager ces pays, autrefois sous domination ottomane. L’accord (qui porte les noms des deux lieutenants-colonels français N. Paulet et anglais Stuart Newcombe) compte 71 points: 38 points identifiés entre le Liban et la Palestine et 33 entre la Syrie et la Palestine. Considérons les 38 points de démarcation: «Ils commencent par le point BP1, à Ras Naqoura, à l’ouest et se terminent à l’est, avec le point BP38, au niveau du pont romain, sur le fleuve Wazzani (BP signifiant Border Point)», explique l’ancien chef du secteur sud Litani de l’armée libanaise, le général à la retraite, Khalil Gemayel, interrogé par Ici Beyrouth.
Entre le début des négociations entre N. Paulet et S. Newcombe et la conclusion de l’accord, «sept villages, considérés libanais en 1920, ont été perdus par notre pays en faveur de la Palestine», poursuit-il.
La ligne d’armistice
Au lendemain de la création de l’État d’Israël en 1948, l’armistice est signé, le 23 mars 1949, entre le Liban et l’État hébreu, sous l’égide de l’Organisation des Nations unies. Dans l’alinéa 1 de l’article 5, l’accord précise que «la ligne d’armistice suit celle qui sépare le Liban et la Palestine, soit la ligne Paulet-Newcombe», indique le général Gemayel. Ainsi, les 38 points de l’accord de 1923 sont retenus. S’y ajoutent 105 autres dits intermédiaires, pour plus de précision dans le tracé. D’où un total de 143 points, avec comme point de départ, non pas le point BP1 (employé comme référence par l’accord Paulet-Newcombe), mais le point B1 qui est plus proche de la mer, à Ras Naqoura.
Avec la signature du traité d’armistice, «le Liban perd 16 km2 entre la ligne de Paulet-Newcombe et la ligne d’armistice», comme l’affirme le général Gemayel.
La Ligne bleue
Ne constituant pas une ligne frontalière, la Ligne bleue est une ligne de retrait tracée par l’ONU et dont le marquage, par des barils bleus, a commencé à partir de 2000, après le retrait israélien du territoire libanais, que Tel-Aviv a occupé 22 ans durant. Elle commence au point B1, à Ras Naqoura et s’achève à Wazzani, au niveau du pont romain.
Longue de 121 kilomètres, la Ligne bleue ne convient cependant pas au gouvernement libanais qui a émis des réserves sur son tracé et, plus particulièrement, sur treize points (d’où les treize points litigieux).
À ces trois principaux tracés, s’ajoute une barrière technique dont l’installation par les forces israéliennes a été achevée en 2007. Il ne s’agit pas d’un tracé officiellement reconnu, mais d’une manière, pour Israël, de se prémunir sur le plan sécuritaire. À l’issue de la construction de la barrière technique, 18 points litigieux sont venus s’ajouter aux treize précédents (il s’agit, en d’autres termes, de 18 villages occupés par les Israéliens).
Le tunnel de Ras Naqoura
En 1942, le tunnel de Ras Naqoura, qui faisait partie de la ligne ferroviaire reliant Haïfa à Tripoli, en passant par Naqoura, est inauguré par les Britanniques. Ces derniers l’ont construit pour faciliter essentiellement le transport de matériel militaire. Le tunnel a cessé cependant d’être fonctionnel, lors de la guerre d’indépendance, en 1948, lorsque les troupes israéliennes ont fait sauter ses installations, pour éviter toute invasion.
Long d’une soixantaine de mètres, le tunnel, qui est une propriété de l’État libanais – inscrit au registre foncier sous le numéro 28/Naqoura –, est sous occupation israélienne. En l’an 2000, après le retrait de ses forces, l’État hébreu a muré la sortie du tunnel avec du béton, empêchant ainsi tout accès, côté libanais. Il a, en outre, transformé la zone en un site fréquenté par des milliers de touristes chaque année.
Le tunnel, en tant que tel, constitue une zone triplement contestée puisqu’il fait à la fois partie des 13 points litigieux de la Ligne bleue, des 18 points litigieux de la barrière technique et qu’une grande partie de l’intérieur du tunnel (40 mètres) est occupée de manière illégale par Israël.
Il semble cependant inconcevable pour Tel-Aviv d’abandonner une telle zone stratégique, surtout lorsque l’on sait que l’État hébreu cherche à déplacer son point de départ (le point B1) de sorte qu’il coïncide avec la barrière technique pour élargir son champ.
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