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Ils sont quelque deux cents Libanais à être tombés, les armes à la main, dans une guerre "de basse intensité" déclenchée par le Hezbollah contre Israël. La mort a aujourd’hui leur visage. Pour nombre d’entre eux, ils ont été couchés aux premières semaines d’une guerre comptée comme une femme enceinte compte les mois et les jours qui la séparent de l’accouchement. Ils ont parfois, en groupe, perdu la vie, déchiquetés par un drone armé, avant que leurs chefs ne commandent à leurs camarades de jeter leurs portables et leur empreinte vocale qui les désignaient comme des cibles faciles. Leurs visages ont rejoint dans la mort les milliers de Palestiniens tombés à Gaza, broyés dans l’intimité d’un repas de famille, entre deux étages bombardés par des F-16.

Une compassion presque involontaire vous prend pour ceux que le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, considère comme victimes d’une "culture de la mort", ces compatriotes tombés dans des batailles qu’ils tiennent pour des victoires, et que d’autres tiennent pour des "victoires illusoires".

Pour certains, comme l’expert militaire Khalil Hélou, s’il y a victoire, c’est "une victoire à la Pyrrhus", c’est-à-dire une "victoire" obtenue au prix de pertes si lourdes qu’elle devrait laisser dans la bouche du vainqueur le goût amer d’une "défaite". Surtout si le résultat du combat n’est pas obtenu, ni au niveau de son objectif déclaré, ni au niveau de ces buts subsidiaires.

Ce conflit a été justifié par le Hezbollah, qui l’a lancé dès le 8 octobre, comme pouvant alléger ou détourner une partie de la violence qui s’exerce sur Gaza. Indépendamment de toute polémique à ce sujet et passé la panique des premières semaines, lorsque l’on a craint une généralisation du conflit, la guerre Hamas-Israël a aujourd’hui atteint le point d’inflexion qui modifie son caractère.

On se souvient qu’au début de l’offensive israélienne, le Hezbollah et tout le camp pro-iranien avaient menacé Israël d’intervenir en cas d’opération terrestre contre l’enclave de Gaza. Il n’en a rien été. On a assisté, horrifié, à cette invasion qui, à ce jour, a fait 30.000 morts au bas mot, sans compter les victimes ensevelies sous les décombres des immeubles soufflés comme des châteaux de cartes. En réalité, après la mort, fin janvier, en Jordanie, de trois soldats américains dans une frappe menée par des milices pro-iraniennes, les États-Unis et l’Iran ont fait comprendre, chacun à ses alliés, qu’ils ne veulent pas d’une guerre généralisée. Cela a fait ressortir l’aspect désormais forcé des affrontements au Liban-Sud. Cette évolution a même permis à l’État hébreu d’exploiter à son avantage cette nouvelle orientation, en bombardant Ghaziyeh et Nabatiyeh, faisant des morts civiles, sans craindre des représailles alarmantes, qui remettraient en question les "règles d’engagement" tacites.

La guerre de basse intensité au Liban-Sud a perdu toute raison d’être, sachant qu’elle ne devait même pas être menée au départ. Pour quelle raison les combattants du Hezbollah et d’Amal sont-ils tombés?  Pour aider leurs "frères" palestiniens? Pour la reconquête de la Ville sainte? Pour réparer une injustice historique? Pour une utopie inaccessible?

On peine intellectuellement, en effet, à définir l’objectif polymorphe de cette guerre où l’eschatologique se mêle inextricablement au national. A-t-on cherché, comme par mimétisme, à reproduire un conflit dont la physionomie nous échappe encore, et que l’historien et politologue Hamit Bozarslan décrit dans un contexte géopolitique comme une "guerre de dé-civilisation"? Certes, comme l’a dit l’archevêque latin d’Alger, Mgr Jean-Paul Vesco, "le drame du 7 octobre est inexcusable, mais il n’est pas sans cause". Il a réveillé à la cause palestinienne la conscience du monde, que les F-16 s’efforcent de rendormir. Mais, comme le dit encore Bozarslan, le Hamas "a sans doute pensé que l’histoire de la Palestine, d’Israël, du Moyen-Orient et du monde se réduisaient aux seules heures de son action". Or, selon le politologue, "une résistance nationale ne peut justifier les crimes de masse".

Ce sursaut, ajoute-t-il en substance, doit être dépassé pour s’inscrire dans "la rationalité" et la durée. Aux sociétés israélienne et palestinienne "de dé-eschatologiser et laïciser" leur combat pour penser leur avenir commun. Et ce qui vaut pour eux vaut pour tous.

Quoi qu’il en soit, pour le Liban, c’est désormais l’indispensable retour à la case départ qui s’impose. Il y a déjà eu beaucoup trop de morts.  La clé du drame et de l’hémorragie existe, elle s’appelle résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’Onu. Le Hezbollah doit penser à s’en servir au plus vite.

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