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Le pays du Cèdre semble s’enfoncer dans une spirale répressive qui vise à museler toute voix critique ou dissidente. Une dérive obscurantiste dangereuse, qui risque à terme d’asphyxier une scène artistique pourtant parmi les plus dynamiques et engagées de la région.

Le Liban, pays de Khalil Gibran, d’Ounsi el-Hajj et de Feyrouz, a toujours été une terre de création bouillonnante et d’effervescence intellectuelle au Moyen-Orient. Mais derrière cette image de phare culturel, se cache une réalité plus sombre. Celle des pressions, intimidations et campagnes de dénigrement dont sont victimes de nombreux artistes dans le pays du Cèdre, souvent sous couvert de lutte contre la normalisation avec l’ennemi israélien.

Dernier épisode en date: l’affaire Wajdi Mouawad. En avril 2024, le dramaturge a dû annuler in extremis la première mondiale de sa nouvelle pièce Journée de noces chez les Cromagnons au théâtre Le Monnot de Beyrouth. Motif invoqué par ses détracteurs: de supposés financements en provenance d’Israël pour ses précédents spectacles.

Des accusations graves, formulées sans preuve tangible par certaines officines se réclamant de "la résistance". Le dramaturge, qui a toujours nié avoir reçu des fonds israéliens, a vu une plainte pour intelligence avec l’ennemi déposée contre lui devant la justice militaire. Face aux menaces pesant sur sa troupe et le théâtre, Wajdi Mouawad a préféré jeter l’éponge et rentrer en France où il dirige le théâtre La Colline.

Un cas loin d’être isolé. En 2017, c’est le réalisateur Ziad Doueiri qui s’était retrouvé dans la tourmente à la veille de la sortie de son film L’Insulte au Liban. Motif invoqué cette fois: avoir tourné quelques scènes de son précédent long-métrage L’Attentat en Israël en 2012. Peu importe que le sujet du film, le conflit israélo-palestinien, nécessitait de tourner des séquences sur place. Arrêté à son arrivée à Beyrouth, il avait été traîné devant un tribunal militaire pour "collaboration avec l’ennemi", un "crime" passible de prison. Avant que les poursuites ne soient finalement abandonnées pour vice de procédure.

Les affaires Mouawad et Doueiri sont loin d’être des cas isolés au pays du Cèdre. Ces dernières années, les exemples d’artistes pris pour cible se sont multipliés, donnant une frontière toujours plus ténue entre la "ligne rouge" à ne pas franchir et l’obscurantisme le plus crasse.

Dans un tel contexte, nombre d’artistes finissent par s’autocensurer, renonçant à aborder les sujets les plus sensibles par peur des représailles. Un terrible gâchis pour le Liban, qui se prive ainsi de ses forces vives au moment où il aurait le plus besoin de regards critiques et d’imaginaires pour penser son avenir.

Derrière les nobles motifs agités par leurs accusateurs, se cachent souvent des règlements de compte personnels, des jalousies mesquines ou de sombres calculs politiques. En brandissant l’étendard de l’antinormalisation, certains cherchent en réalité à faire taire toute voix dissidente ou critique. Un réflexe identitaire d’autant plus absurde que nombre de ces artistes font la fierté du pays à l’étranger et contribuent à son rayonnement culturel.

En attendant, les artistes libanais continuent de créer et d’espérer des jours meilleurs, malgré la chape de plomb. Car ils savent que sans liberté d’expression, c’est toute la société qui étouffe à petit feu.

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