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La recrudescence de la criminalité au Liban n’est plus une question ordinaire; c’est désormais une source de grande inquiétude pour les citoyens libanais, en particulier ceux qui ont trouvé refuge dans l’État de droit dans lequel ils ont été élevés.

Samar Yamout, de notre société sœur, Houna Loubnan, a écrit:

Pratiquement chaque semaine, au Liban, un crime est commis. Meurtres, viols, vols, enlèvements, agressions à l’arme blanche et autres actes criminels se multiplient. Ces délits sont le fait de criminels sans scrupules, dans un contexte où les institutions et les organes de l’État se désintègrent complètement, incapables d’assurer une sécurité proactive. Cette situation a ouvert la voie à des gangs et à des individus locaux et étrangers qui agissent à leur guise, bafouant la sécurité de la société et ses valeurs éthiques. Ils perçoivent la fragilité de l’État et de son système judiciaire, et misent fermement sur l’impunité.

La montée de la criminalité au Liban dépasse désormais le stade d’une simple préoccupation; elle engendre une inquiétude profonde parmi les Libanais, en particulier ceux ayant trouvé refuge dans l’État de droit qui les a vus grandir. En cherchant les raisons de cette augmentation, il est impératif d’examiner les circonstances exceptionnelles que traverse le pays depuis des années, qu’elles soient économiques, sécuritaires, politiques ou sociales. Il est peut-être même légitime de se demander: qu’est-il resté du Liban pour mettre fin à la criminalité?

 Crimes facilités par la faiblesse de l’État

"Le Liban traverse une crise économique profonde, marquée par l’incapacité de l’État à assumer ses responsabilités et à concevoir un plan de sortie." Telle est l’analyse du général à la retraite Khaled Hamadé, expert en affaires sécuritaires et politiques, interrogé à ce sujet.

Il a souligné "la désintégration des administrations et du secteur public ainsi que le manque d’engagement fonctionnel et éthique pour l’intérêt public dans un État soumis à des pressions financières". Il a cité le crime du port de Beyrouth, "qui a démontré l’implication de nombreux responsables et ministres, sans que le pouvoir judiciaire puisse remplir son rôle, sapant gravement la confiance dans l’État et le système judiciaire.  La loi est désormais entre les mains de quiconque veut la ternir. Les incidents sécuritaires ainsi que les incidents transfrontaliers entre le Liban et la Syrie se sont multipliés, accentuant la fragilité de l’État qui peine à imposer son autorité. En conséquence, les résidents se sentent encouragés à commettre des crimes, conscients que les institutions de l’État sont corrompues et compromises."

Concernant la présence des migrants syriens et son impact sur l’augmentation de la criminalité, le général Hamadé a expliqué que lorsque le nombre de Syriens dépasse un tiers de la population libanaise, il est normal que le taux de criminalité augmente. Il a critiqué le fait que l’État n’ait pas établi de limites à cette question depuis le début. Ainsi, il n’a pas mis en place les mesures nécessaires pour réguler cette présence sur les plans sécuritaire, administratif et fonctionnel, ni pour tirer profit de leur main-d’œuvre, comme l’ont fait la Jordanie, la Turquie et l’Égypte. Il a également noté que la plupart des migrants syriens proviennent de milieux principalement ruraux ou religieux et sont généralement caractérisés par leur moralité et leurs valeurs. Cependant, certains d’entre eux se tournent vers la criminalité lorsqu’ils réalisent que le champ leur est ouvert dans ce climat d’insécurité et de vide juridique.

Une classe politique soumise

Le général Hamadé s’appuie sur les fondements de l’éducation et des valeurs morales encore présentes dans les familles libanaises, car c’est ce qui limite l’expansion de la criminalité. "On parle de l’augmentation du taux de criminalité au Liban, mais si toutes les conditions que nous connaissons, telles que la dégradation de l’État, le chaos et l’inefficacité des appareils sécuritaires et judiciaires, étaient réunies dans n’importe quel pays du monde, le taux de criminalité y serait bien plus élevé qu’au Liban", a-t-il affirmé. Quant à la montée de la criminalité, il considère que la responsabilité en incombe non seulement au gouvernement et au Parlement, mais à l’ensemble de la classe politique. Il pointe du doigt leur manque de courage pour appliquer la loi lorsqu’ils sont assujettis à des forces locales ou régionales de facto, ainsi que leur manque de volonté pour établir un véritable État et protéger la société.

Manque de "citoyenneté" et de respect de la loi

Pour sa part, Dr Nadia Chahrour, spécialisée en psychologie sociale, a expliqué: "L’augmentation de la criminalité dans une société est due à plusieurs facteurs, notamment l’éducation, les relations interpersonnelles (comme le dit le dicton, dis-moi qui tu fréquentes…), le non-respect de la loi et le niveau d’attachement au pays. Ce dernier point est particulièrement crucial, car, lorsque la citoyenneté est absente, la société est compromise. La récente crise économique a exacerbé les tensions entre les citoyens, creusant un fossé socio-économique significatif entre les riches et les pauvres. Cette disparité peut amener l’individu à justifier la commission de crimes, se sentant lésé par l’excès de son travail et sa faible rémunération."

Enrayer la criminalité

Concernant la hausse du taux de criminalité et la part importante des Syriens impliqués, Dr Chahrour a mis en évidence le fait que les migrants viennent d’un milieu différent. Même si celui-ci est géographiquement proche du Liban, les cultures demeurent distinctes. Certains d’entre eux pourraient avoir des difficultés à s’adapter à la société d’accueil. En l’absence d’un niveau d’éducation et de socialisation adéquat, un migrant pourrait manquer d’engagement pour préserver cette nouvelle communauté à laquelle il s’est joint, contrairement à l’attachement d’un citoyen libanais. La responsabilité de garantir la sécurité et de réprimer la criminalité incombe en premier lieu à l’État. Nous ne pouvons pas tabler sur l’autodiscipline de l’individu sans des mécanismes dissuasifs efficaces, allant de son éducation et de son comportement aux organes de l’État chargés de sa surveillance et de l’application de la loi à tous les résidents sur son territoire.