L’aide européenne au Liban: des motifs politico-financiers dans les deux sens

Le don d’un milliard d’euros que l’Union européenne veut octroyer au Liban pour l’aider à alléger le poids de la présence de centaines de milliers de Syriens sur son territoire soulève toujours des interrogations sur les motivations, le timing et les circonstances de ce «cadeau» que beaucoup jugent empoisonné et qui sera discuté mercredi au Parlement.
Ce don a été annoncé après les protestations de Chypre contre l’afflux continu de migrants syriens depuis les côtes libanaises vers l’île, alors que le Liban peine, depuis treize ans, à gérer les conséquences de la présence massive de migrants et de déplacés syriens sur son sol.
C’est un fait: cette présence, qui dure depuis 2011, a mis une pression énorme sur les infrastructures branlantes du Liban. L’aide européenne est loin de régler de manière substantielle ce problème, d’autant plus qu’une partie de ce fonds sera utilisée pour soutenir l’armée libanaise et les services de sécurité.
«Cette aide financière vise (entre autres) à soutenir les forces armées libanaises en leur assurant les équipements et la formation nécessaires pour le contrôle des frontières», avait déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lors de sa récente visite à Beyrouth. L’UE veut «contribuer à la stabilité socio-économique du Liban», avait-elle encore souligné.
Il s’agit là de la raison officielle. Mais c’est là où le bât blesse, puisqu’il y a des doutes concernant des motifs politiques et financiers cachés.
L’expert économique Patrick Mardini fait remarquer à Ici Beyrouth que «les Européens pensent que le Liban peut gérer le contrôle des frontières à moindre coût. Donc au lieu de payer la police européenne pour accroître les patrouilles aux frontières maritimes, ils paient les Libanais pour le faire». Pour M. Mardini, «c’est une situation dans laquelle tout le monde est gagnant, aux yeux des Européens, puisqu’il est également question d’un soutien financier à l’armée libanaise». «Tel est le motif financier», note-t-il.
Au niveau libanais, il s’agit à la fois d’un motif financier et politique. «Dans le cas du Liban, les hommes politiques essaient d’utiliser la crise des réfugiés pour deux raisons ou deux schémas politiques. Premièrement, ils essaient de soutirer de l’argent à l’Occident moyennant le maintien des réfugiés syriens dans le pays. La seconde raison est de détourner l’attention des problèmes auxquels est confronté le Liban, tels que la crise financière et économique et l’incapacité de la classe politique à assumer ses responsabilités, notamment à lancer des réformes. Ils avaient besoin d’un bouc émissaire. Ils l’ont trouvé dans la présence des Syriens, afin de pouvoir tenir ces derniers pour responsables de tous les problèmes» du pays, ajoute M. Mardini.

«Les politiciens adoreraient avoir l’argent des réfugiés; ils voudraient en avoir autant que possible. Ils préféreraient que l’argent passe par les canaux gouvernementaux, ce qui entretiendrait la corruption au Liban. Ce qui nous préoccupe réellement, c’est que l’UE le saurait, mais continuerait quand même à leur donner de l’argent pour acheter leur silence. La pire chose qui pourrait arriver dans ce cas serait la promotion de la corruption», conclut-il.
L’UE donne de l’argent à un gouvernement libanais d’expédition des affaires courantes, dont le budget pour 2024 et l’absence d’une vision pour des réformes, sont critiqués. Dans le passé, les Européens sollicitaient des données détaillées sur la manière dont chaque centime accordé au gouvernement libanais était dépensé. Ils étaient très soucieux de la transparence. Après la crise de 2019, ils ont affirmé, à plusieurs reprises, qu’ils ne fourniraient d’aide financière au Liban que si des réformes sont menées dans différents secteurs, notamment l’électricité, l’administration publique et la fiscalité. Ils ont réclamé, en outre, un budget général transparent et la levée de toutes les subventions.
Comme beaucoup de Libanais, l’ancien leader des Forces libanaises, Fouad Abou Nader, «a de sérieux doutes» sur l’enveloppe financière d’un milliard d’euros sur trois ans que l’Union européenne accorde au Liban. M. Abou Nader la considère comme «un pot-de-vin à peine voilé pour acheter le gouvernement afin de maintenir les réfugiés syriens au Liban». «Cette assistance devrait être renvoyée à ses propriétaires avec des remerciements», ajoute-t-il.
Le président de la Chambre, Nabih Berry, a convoqué les députés à une session parlementaire le mercredi 15 mai pour discuter du don de l’UE.
«Puisque la stabilité a été rétablie dans la plupart des territoires syriens, pourquoi les réfugiés ne reçoivent-ils pas l’argent en Syrie?», se demande M. Abou Nader.
Le plus alarmant, cependant, ce sont les révélations du Premier ministre du gouvernement d’expédition des affaires courantes, Najib Mikati, sur l’ouverture de l’UE à «la migration saisonnière» des Libanais pour travailler dans les pays européens.
Différentes analyses ont été développées au sujet des tenants et des aboutissants du don européen, mais quels que soient les explications et les points de vue formulés, l’opinion publique libanaise reste majoritairement opposée à la présence massive syrienne au Liban.
La trajectoire du «cadeau» européen sera claire mercredi. Il reste à voir si le Parlement fera écho à l’opinion du peuple libanais ou tentera plutôt d’en faire fi.
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