La justice aux mains d’une milice suprématiste

Depuis que la société libanaise ne prend plus au sérieux les accusations d’«intelligence avec l’ennemi sioniste», le Hezbollah s’est rabattu sur le nouveau dada du soulèvement populaire de 2019: la corruption. Chaque cible qu’il désire abattre en est désormais accusée. Sa machine politico-médiatico-juridique s’attelle immédiatement à la fabrication des dossiers nécessaires pour le lynchage.
Dans un article de décembre 2023, nous avions attiré l’attention sur l’instrumentalisation du tribunal militaire pour taire toute voix s’élevant contre l’hégémonie du régime théocratique du Hezbollah. Mais il semblerait aujourd’hui que des éléments de certaines juridictions soient tombés au service du projet islamiste, fasciste et suprématiste de cette milice.

Du takfirisme au takhouinisme
Le processus est toujours déclenché par une accusation fabriquée par son organe de presse. Ce dernier est fortement lié à certains services de renseignements de l’État et dispose d’agents dans les divers ministères. Pour dompter ou briser les activistes politiques, la stratégie consiste à les persécuter en remplaçant le takfirisme (l’anathème) de Daech et d’Al-Qaïda par le takhouinisme (la trahison), un concept que le Hezbollah a emprunté au général ottoman Jamal Pacha. Rappelons que ce dernier désignait l’ennemi (la France) et surtout les collaborateurs (les Montélibanais).
Du takhouinisme à la corruption
Pour dompter ou briser les hommes d’affaires, la persécution s’opère par la fabrication de dossiers de corruption. Souvent, comme pour le takhouinisme, l’innocence finit par être établie, et l’acquittement est obtenu après plusieurs mois. Or cette durée est suffisante pour l’anéantissement de la personne, de sa société ou de son institution. Ces longs mois de harcèlement peuvent aboutir à la mort sociale, professionnelle ou physique de la personne, comme cela s’était produit avec Michel Mecattaf en mars 2022. Sa société qui contrôlait le mouvement des dollars américains vers et à partir du Liban a cédé désormais la place au circuit parallèle et illégal géré par le Hezbollah et ses mafias.
Le même phénomène a été observé dans d’autres domaines de l’industrie alimentaire. Les entreprises qui détenaient le gros du marché de certains secteurs, se sont effondrées, laissant place à l’émergence de nouvelles entreprises directement liées au parti d’Allah. Le procédé est toujours le même: toute entreprise alimentaire fait l’inventaire de ses réserves afin de trier les produits périmés. Ceux-ci sont alors isolés dans un compartiment en attendant leur destruction. C’est là que des employés infiltrés préviennent le ministère concerné, qui intervient pour saisir la marchandise, faire arrêter le propriétaire et mettre l’usine sous scellés. La victime n’a aucune issue face à une parfaite coordination entre les employés espions, les agents du ministère, les forces de l’ordre, les médias affiliés au Hezbollah et la justice qui lui est acquise ou soumise.
L’affaire Wooden Bakery

Le 28 mai, c’est le propriétaire de la Wooden Bakery, Assaad Bou Habib, qui a été arrêté selon un scénario similaire: une réserve de blé supposé périmé a été débusquée soudainement dans l’une de ses branches de la Bekaa. Cinq jours de prison dans des conditions inhumaines, parfois mortelles, pendant que les services de l’ordre tentaient de sceller non seulement la branche concernée, mais l’ensemble de l’entreprise et son usine centrale.
Des échantillons de toutes les catégories de blé de la Wooden Bakery ont été envoyés au laboratoire pour expertise et se sont avérés tous sains. Étonnamment, le procureur ne publie pas ces résultats après avoir anéanti la réputation de cette entreprise dans les médias, faisant chuter son chiffre d’affaires.
Quel contraste avec l’affaire du chocolat et des céréales avariés saisis dans le sud du pays durant la même semaine, sans aucunement inquiéter les coupables ni même mentionner leur nom. Quel contraste avec l’affaire de la signature falsifiée par le frère du ministre Mohammad Fneich afin d’écouler sur le marché des médicaments non homologués. Nulles représailles. Quel contraste avec la disparition des nouveaux timbres fiscaux imprimés par l’État qui ne se soucie guère de leur destin.
La monopolisation du marché
C’est avec ce genre d’opérations que le marché du poulet et d’autres produits alimentaires est passé à des familles affiliées au Hezbollah. C’est aussi de cette manière que ce dernier a mis la main sur les transactions des dollars américains sur tout le territoire libanais. Aujourd’hui, ce sera au tour du pain s’il ne se produit pas une prise de conscience sérieuse et une réaction efficace et coordonnée. Sans cela, aucun homme d’affaires, aucune entreprise non affiliée au Hezbollah n’osera plus jamais investir au Liban.
Avant le pain d'Assaad Bou Habib, cette machine s’était attaquée aux moulins à blé de Paul Mansour. Par ailleurs, la majorité des commerces opérant légalement dans tous les domaines (du marbre, de la céramique, du fer ou du prêt-à-porter) ont déjà fermé face à la concurrence déloyale des partisans du Hezbollah qui ne connaissent ni taxes, ni impôts, ni charges sociales, ni droits de douanes.
Le Hezbollah ne travaille pas uniquement à un changement géographique et démographique au Liban, mais aussi et surtout à un bouleversement culturel et économique. En supprimant toute possibilité de développer une activité, ou d’en maintenir une existante au Liban, le Hezbollah anéantit le marché du travail et force la jeunesse à l’exode. Il étend son hégémonie sur l’ensemble des secteurs de l’économie, de l’enseignement, de la santé, de la finance et de la justice, en sapant toutes les structures existantes au profit de son système parallèle.
Après la révolution de 2019
La stratégie du takhouisnisme est toujours valable pour mettre des personnalités souverainistes derrière les barreaux, mais elle a perdu son efficacité quant à l’isolement social dans les calomnies et le déshonneur. Car depuis 2019, l’éveil politique qui s’est opéré a formé un barrage face à ce type d’accusations désormais ridiculisé. En revanche, la révolution de 2019 a développé une allergie à tout ce qui ressemblerait de près ou de loin à de la corruption. Et c’est sur ce tableau que s’est rabattu dès lors le réseau de la machine médiatico-juridique du Hezbollah.
La moindre accusation de corruption fomentée par ses organes médiatiques est automatiquement relayée par tous les médias dont ceux de l’opposition qui ne se doutent pas de ce qui se trame. Inconsciemment, ils participent à l’humiliation et à l’isolement de la proie, qui finira par tomber et par livrer un nouveau secteur de l’économie au régime islamiste, fasciste et totalitaire, dont le suprématisme confessionnel ne laisse plus aucun doute. La cible, qui deviendra proie puis victime, est toujours choisie à la tête d’un empire afin d’assurer à l’opération de lynchage, la plus grande rentabilité.
Cette machine médiatico-juridico-mafieuse répète ces initiatives à des intervalles assez espacés, ne s’en prenant qu’à une seule victime à la fois afin de ne pas éveiller les soupçons et de ne pas provoquer des phénomènes de solidarité. Elle s’est attaquée aux «sionistes», mais personne n’a réagi, n’étant pas sionistes. Elle s’est attaquée aux «ultraconservateurs chrétiens», mais personne n’a réagi, n’étant pas ultraconservateurs. Elle a fait mourir les «trop riches», mais personne n’a réagi, n’étant pas trop riches. Elle s’est attaqué aux «corrompus», mais personne n’a réagi, n’étant pas corrompus. Le Liban se meurt à force de ne pas se sentir concerné.
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