De fabrication iranienne (développé par l’université Shahid Sattari des sciences et technologies de l’aviation), le drone qui a survolé plusieurs zones du territoire israélien et qui aurait permis la diffusion, mardi, par le Hezbollah, d’une vidéo d’une dizaine de minutes, suscite plusieurs interrogations quant au procédé et aux messages véhiculés.
Comment le(s) drone(s) a-t-il (ont-ils) pu prendre des images de haute résolution, de sites «sensibles», à une altitude relativement basse? Ces prises de vues sont-elles l’œuvre du drone seul? Quel(s) message(s) a voulu faire parvenir le Hezbollah? Comment réagirait Israël?
Surnommé Hodhod 3, du nom de la huppe fasciée, l’oiseau devenu en 2008 l’emblème d’Israël, le drone utilisé par le Hezbollah pour la transmission de «scènes très importantes», «à regarder et à analyser», comme recommandé par la formation pro-iranienne, quelques heures avant la diffusion de la vidéo, aurait été en mission été dans un triple objectif.
Selon le général à la retraite Khalil Hélou, le premier est de «brandir une menace contre Tel-Aviv, de rehausser le moral des partisans et des combattants du Hezbollah et d’adresser un message clair à l’envoyé américain, Amos Hochstein».
En mission en Israël et au Liban lundi et mardi, ce dernier a fait parvenir aux responsables politiques libanais les menaces israéliennes de guerre contre le pays, au cours de sa courte visite à Beyrouth.
Le Hodhod 3
De quelques 3,3 mètres de longueur, le Hodhod 3 a une envergure d’ailes d’environ cinq mètres et pèse 90 kg. Faisant partie de la catégorie de drones à roues, une piste de 150 mètres est nécessaire pour son décollage et son atterrissage. Sa vitesse varie entre 70 et 120 km/h et son rayon d’action est estimé à 100 km, ce qui veut dire qu’une fois cette distance parcourue, le drone risque de tomber, s’il n’atterrit pas «à temps».
Envoyé depuis le Liban, le Hodhod a dû décoller, selon le général Hélou, «à partir du sud de Tyr et du nord de Naqoura, survolant la mer à très basse altitude, avant d’arriver à Haïfa, situé à 30 km du Liban, approximativement». Le calcul est donc simple, indique le général Hélou: «Avec 30 km pour l’aller, 30 km pour le retour, nous sommes à 60 km auxquels devraient s’ajouter 40 km de survol des zones en question pour un total de 100 km, ce chiffre étant révélateur, comme précisé plus haut, de son rayon d’action».
Avec une capacité de furtivité et de vol silencieux (n’émettant pas de bruit, ni de signature thermique), impossible de détecter ou d’intercepter ce drone via un radar ancré au sol. Seul un engin (généralement un avion) placé à une altitude supérieure à celle de la zone de survol du drone peut détecter sa présence.
Une banque de cibles militaires et civiles
Les zones (militaires, civiles et stratégiques) qui figurent dans la vidéo diffusée par le Hezbollah sont multiples. Il s’agit des villes de Kiryat Shmona, Nahariya, Safad, Karmiel, Afula, Haïfa et son port, avec des navires de guerre israéliens. «Le plus étonnant, explique Jean Sébastien Guillaume, fondateur du cabinet Celtic Intelligence, c’est le survol du complexe militaro-industriel appartenant à l’entreprise Rafael Advanced Defense Systems, qui comprend de nombreuses usines, entrepôts et champs d’essai où sont fabriqués et assemblés des composants de systèmes (israéliens) de défense aérienne, comme le Dôme de fer et la fronde de David».
On peut également voir, d’après lui, les plateformes du Dôme de fer et David’s Sling, une partie du tunnel d’essai et le stockage des moteurs de fusées, des missiles de défense aérienne, les installations de fabrications de composants de missiles, les usines de systèmes de contrôle et de guidage, les bâtiments administratifs de l’entreprise et les radars d’essai de missiles.
La vidéo montre également, toujours selon M. Guillaume, un aperçu détaillé de Krayot, banlieue au nord de Haïfa, qui comprend six villes avec une population de 260.000 Israéliens. «Le Hezbollah a publié une vue complète en haute définition de cette agglomération urbaine, avec une visite en temps réel des différents districts et quartiers, y compris les résidences officielles israéliennes et les complexes commerciaux», a-t-il souligné.
Une compilation d’images?
Ces images ne sont cependant pas nouvelles. C’est, du moins, ce que s’accordent à dire le général Hélou et M. Guillaume. Elles sont, d’après eux, «aisément compilables par des images satellitaires». Il n’en demeure pas moins qu’avec le Hodhod, de telles prises sont faciles à prendre, le drone étant équipé de caméras haute résolution pour la prise de photos 16 Mega pixels et HD.
Néanmoins, il peut très probablement s’agir d’un «rassemblement de photos en provenance, certes, non d’un seul mais de plusieurs vols, effectués sur plusieurs mois, mais aussi de renseignements iraniens, voire palestiniens et de satellites iraniens», signalent le général à la retraite et M. Guillaume.
On rappelle, à cet égard, que l’Iran possède plusieurs satellites de surveillance au-dessus de la région du Moyen-Orient: le Nour-1 lancé en avril 2020, le Nour-2 mis en orbite en mars 2022 et le Nour-3 placé en orbite à 450 km au-dessus de la Terre en septembre 2023.
Trois autres satellites y avaient été lancés en 2024, permettant d’avoir des images de qualité comparable à celles diffusées mardi par le Hezbollah.
Message hezbollahi vs réaction israélienne
Côté israélien, on pourrait s’attendre à davantage de vigilance et d’agressivité, pour prévenir toute frappe contre Haïfa, la diffusion de telles images de zones et d'infrastructures militaires sensibles pouvant être perçue comme une violation de la souveraineté et de la sécurité nationale d'Israël. «Même si ces informations sont accessibles d’une manière ou d’une autre, le fait qu'elles aient été divulguées par le Hezbollah est perçu comme une provocation et servirait de support à la propagande gouvernementale israélienne, dans sa campagne médiatique, le jour où le gouvernement validerait une attaque contre le Liban», signale M. Guillaume.
Or, d’un point de vue militaire, «lorsque nous disposons de ce genre de renseignements, on ne le révèle pas pour éviter d’informer sur ses prochaines cibles d’attaque», explique le général Helou.
Cette affaire de drones cache, selon M. Guillaume, des enjeux plus profonds. «Au-delà des accusations et des contre-accusations, il semble que le véritable but du Hezbollah soit de maintenir et de pousser sa présence au sud du Litani», affirme-t-il. Et d’ajouter: «En diffusant ces images de surveillance (satellite ou drone, là n’est pas vraiment la question, puisque le Hezbollah a déjà entrepris de telles manœuvres dans le passé), la formation pro-iranienne cherche à faire monter les enchères et à justifier son refus de se retirer au nord du Litani».
De son côté, Israël pourrait exploiter à plein cet incident pour monter l’opinion publique contre le Hezbollah et légitimer la poursuite du conflit militaire.
Les deux parties semblent surtout impliquées dans un jeu de pouvoir visant à préserver leurs positions respectives sur le plan de la politique intérieure.
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