Fallait voir comment les autorités chypriotes ont cherché à se disculper aux yeux du Hezbollah! On aurait dit des hommes politiques libanais ayant commis un impair et se bousculant pour montrer patte blanche à Anjar sous occupation syrienne. Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour se dédouaner et retrouver son crédit auprès du grand manitou, qu’il soit syrien, iranien ou même rien qu’un proxy?
En date du 19 juin, Hassan Nasrallah a menacé de frapper Chypre, île de la Méditerranée orientale partagée en deux qu’elle est par la ligne Attila, parce qu’il la soupçonnait de pouvoir «servir de base-arrière à l’armée israélienne», pour le cas où un conflit se déclarerait(1). Nicosie devrait alors se considérer en état de guerre avec le Liban, Nasrallah dixit.
Que de couleuvres à avaler!
Tout cela a commencé quand certaines nouvelles s’étaient mises à nous parvenir. On apprenait que, d’une part, le cabinet israélien avait approuvé et confirmé les plans opérationnels d’une offensive visant le Liban, et que d’autre part le ministre des Affaires étrangères Israël Katz avait déclaré que son gouvernement était à la veille de prendre une décision qui allait «modifier les règles d’engagement» dans sa lutte contre le Hezbollah. Ce fut le tollé général dans les rangs de la milice chiite. La réaction de Nasrallah n’allait pas tarder: son discours, enflammé comme on s’y attendait, allait s’en prendre à l’île d’Aphrodite(2), qui se croyait à l’abri de nos soubresauts répétitifs. «Nous nous considérons en état de guerre avec Chypre si l’île ouvre ses aéroports et ses bases (militaires) à Israël pour cibler le Liban», avait déclaré el Lider máximo(3).
L’affaire était grave et le président Nikos Christodoulides s’est cru obligé de publier un démenti: son pays n’allait pas soutenir un belligérant plutôt que l’autre dans cette inépuisable querelle qui empoisonne les relations régionales. Il n’a pas manqué d’affirmer que Chypre n’est pas partie prenante du conflit mais qu’elle le serait volontiers dans la recherche d’une solution. Une délégation chypriote, dépêchée à la hâte, a confirmé lesdits propos en ces termes: «(Chypre) s’oppose fermement à l’utilisation de son territoire par une tierce partie pour attaquer un autre pays.» Et de répéter à l’envi que la base militaire à partir de laquelle furent lancées des manœuvres conjointes avec Israël était sous autorité britannique.
Un pays qui vit du tourisme n’a pas intérêt à gâcher ses vacances au soleil! Quand on songe qu’il suffit d’un aéronef lancé depuis les côtes libanaises pour tarir une source essentielle du revenu national de Chypre!
Et si d’aventure…
Mais les dieux rendent fous ceux qu’ils veulent perdre. Et si une guerre à part entière se déclenchait et que le Hezbollah frappait une cible comme Paphos, la république amputée de Chypre ne pourrait pas compter pour sa défense sur l’Otan. Du moins en théorie! Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’Organisation de l’Atlantique Nord, l’a confirmé, lors d’un entretien accordé à la CNN, en ces termes: «Chypre n’est pas un allié. Il ne faut pas spéculer, mais je crois qu’il est important d’empêcher cela d’arriver.» Toutefois cette île, tant convoitée tout au long de l’histoire, n’est pas pour autant dénuée d’un parapluie de défense collective. Elle fait partie de l’Union européenne qui prévoit une «politique de sécurité et de défense commune». Cette politique l’autorise à «déployer des missions et opérations civiles et militaires», conformément au traité de Lisbonne de 2009. C’est sur la base de ce texte que Josep Borrell, Haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères, est intervenu pour appeler à une désescalade, comme c’est sur cette même base que se sont retrouvés les ministres des Affaires étrangères de l’UE pour apporter à Chypre le soutien face aux dangers imminents(4).
Audace et veulerie
L’Europe vivait dans sa zone de confort. Elle se laissait non seulement désindustrialiser mais également démilitariser depuis la chute du mur de Berlin. Elle avait fermé les yeux sur l’annexion de la Crimée, croyant ainsi satisfaire les appétits du tsar de toutes les Russies. Mais Poutine ne l’entendait pas de cette oreille et ce n’est que lors de sa dernière incursion en Ukraine que les Européens goûtèrent à l’amère réalité. Tirés de leur léthargie, ces derniers s’étaient employés, mais dans un désordre indescriptible, à contenir l’ours russe aux abords du Dnieper. Et voilà qu’un front risque de s’ouvrir à leur frontière sud, c’est-à-dire à l’Est de la Méditerranée. L’UE, qui cherchait à rester en dehors du conflit allumé par la mèche du 7 octobre 2023, va se trouver attirée dans une nouvelle spirale d’une violence insoupçonnée. Cela allait de soi, le susmentionné traité de Lisbonne imposant aux États membres une solidarité au niveau de la défense militaire.
Bien joué, Hassan Nasrallah, l’audace est payante! Allez-vous entraîner l’Europe dans la fournaise? Ou vous satisfaire de quelques génuflexions diplomatiques? Ou alors exiger quelques concessions supplémentaires sur la voie de la prise du pouvoir au Liban?
Le conflit qui fait tache d’encre
Votre milice chiite tient l’Europe à la gorge en prenant pour cible un des Vingt-Sept États européens qui, dans les faits, est un pays éminemment démobilisé. Un coup de maître qu’on qualifierait de «démesure» face à un Occident veule qui pratique l’esquive plutôt que la confrontation.
En menaçant Chypre, c’est l’Europe que votre Hezbollah met à genoux!
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- Guillaume de Dieuleveult, «Sûr de sa force, le Hezbollah menace Israël et Chypre», Le Figaro, 20 juin 2024.
- Comme le dit si bien Madame Natasha Metni Torbey: «Le Hezb parviendra-t-il à perturber les rapports libano-chypriotes?», Ici Beyrouth, 20 juin 2024.
- Ibid.
- «Borrell exprime sa solidarité avec Chypre et appelle à la désescalade», Ici Beyrouth, 21 juin 2024.
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