©Portrait du patriarche Estéphanos Douaihy
Le cinquante-septième patriarche maronite sur le siège d'Antioche depuis le fondateur saint Jean Maron, Estéphanos Douaihy, était épigraphiste, archéologue, musicologue et philologue. Au XVIIe siècle, il s'est mérité le titre de père de l'histoire et principal patriarche, suivant ainsi les pas du saint fondateur du VIIe siècle, tout en réformant l'Église et préservant son héritage.
Mille ans après saint Jean Maron, un grand patriarche allait réaffirmer l’idée du Liban en inscrivant dans l’écriture de l’histoire ce que le premier avait établi sur le territoire. L’un avait quitté Antioche pour le Mont-Liban, où il repose à Kphar-Haï en 707, tandis que l’autre quittait Rome pour cette même montagne sacrée, où il fut inhumé en 1704 à Sainte-Marina de Qannoubine.
Estéphanos Douaihy fut le 57e patriarche maronite sur le siège d’Antioche depuis le fondateur saint Jean Maron. Né à Ehden le 2 août 1630, jour de la saint Étienne dont il portait le nom en syriaque, il perdit son père, Mikhael, trois ans plus tard, et fut éduqué par sa mère Mariam qui l’inscrivit à l’école du village pour apprendre le syriaque, comme il le raconte dans son autobiographie. Plus tard, le patriarche Georges Amira le choisit pour partir à Rome à l’âge de 11 ans, où il séjourna de 1641 à 1655.
Du collège au patriarcat
À Rome, il était connu sous le nom de grand Edenensis. Il refusa les offres alléchantes qui avaient attiré ses collègues savants maronites tels qu’Ecchellensis, Sciadresis, Hesronita, Sionita, les Assémani et d’autres encore.
Ces opportunités, telles que des chaires universitaires et des postes de conservateurs dans les plus grandes bibliothèques d’Occident, étaient très honorifiques et rémunératrices. Malgré cela, Estéphanos insista pour retourner au Mont-Liban, sentant qu’il avait une mission divine à accomplir. Avant de prendre la mer, il multiplia ses recherches dans les bibliothèques européennes et copia des documents concernant les Maronites, le Levant et la Mésopotamie.
À son retour au Mont-Liban, le patriarche Jean de Safra l’ordonna prêtre le 25 mars 1656. Le 8 juillet 1668, Georges de Bsebeél le consacra évêque maronite de Chypre, et le 5 mai 1670, il fut élu patriarche sur le siège d’Antioche. Il devint alors connu en Occident sous le nom de Stephanus Petrus Edenensis Patriarcha Antiochenus Maronitarum.
Peu de patriarches furent autant contestés que Estéphanos Douaihy. Il dut fuir la tyrannie des Turcs et de leurs vassaux Hamadé dans le nord du Liban, se réfugiant dans le Kesrouan où il fit face à l’opposition de son propre clergé et de la féodalité, notamment un influent Khazen. Certains évêques s’opposèrent à toutes ses réformes et contestèrent son élection, retardant l’approbation de Rome jusqu’en 1673. Cette situation le poussa à quitter le Kesrouan hostile pour s’installer plus au sud, chez les princes Maanides à Majdel-Méouch, parmi les druzes qui le protégèrent et le vénérèrent parfois comme un saint.
Il étudia longuement les coutumes des druzes et leur attitude envers les chrétiens. «Au pays du prince Fakhredine», écrivait-il, «la tête des chrétiens s’est relevée. Ils ont commencé à monter à cheval, à porter des écharpes sur la tête et à manier des fusils. Pendant ce temps, des églises ont été construites à Bikfaya, Arbénié, Bchéelé, Kphar-Zayna et Kphar-Helta. Des missionnaires d’Occident sont venus vivre parmi nous.»
Un patriarche polyglotte
Trilingue, Estéphanos écrivait parfaitement le syriaque et l’italien, et maîtrisait assez bien l’arabe, bien que sa syntaxe révèle qu’il pensait principalement dans ses deux premières langues. Il écrivait également en latin à un moindre degré, et connaissait le grec et le français. Pour s’adresser aux consuls de France à Alep, François Picquet et François Baron, il préférait cependant utiliser l’italien.
Il a lui-même enseigné les langues. À Geïta, le syriaque, à Alep, le syriaque, l’arabe et l’italien. À Mar-Chalita (Sainte-Artémis) de Gosta, il a écrit des lettres en français pour souligner le besoin de protection occidentale.
Entre 1653 et 1658, puis lors de sa seconde mission entre 1662 et 1668 à Alep, où la communauté maronite parlait arabe, il prêcha et écrivit dans cette langue. Il perfectionna son arabe en utilisant le garshouné (arabe écrit en caractères syriaques) pour certains de ses ouvrages historiques.
L’écriture du patriarche Estéphanos Douaihy dans le manuscrit des «Strophes types syriaques».
L’arabe comme langue étrangère
Malgré son recours à la langue arabe sous forme de garshouné, il insérait des textes liturgiques en langue syriaque sans en fournir la traduction, car il percevait la sacralité, les richesses et les vertus du syriaque. Mais ce savant se méfiait aussi des obstacles liés à la traduction et des trahisons qu'elle pouvait induire.
Son arabe apparaissait comme une langue étrangère. C’est précisément le sens du terme garshouné pour désigner la langue arabe, qui signifiait «l'étranger». Les textes de Douaihy étaient fortement imprégnés de tournures syriaques arabisées, caractéristiques du dialecte libanais. Il commettait parfois des fautes de grammaire et n'utilisait que très rarement le duel distinctif de la langue arabe.
Sous l’influence d’Alep et, surtout, des encouragements du Vatican, il promut l’usage de l’arabe dans son Église, y voyant une ouverture vers l’universalisme, tout en restant vigilant contre l’acculturation de son peuple. Il lança ainsi un avertissement en garshouné, sous forme de vers: «Al syriani serr li, al ‘arabi ‘ar bi» (le syriaque est un mystère pour moi, l’arabe une honte), signifiant que l’ouverture vers une autre culture ne doit pas se faire au détriment de la langue ancestrale et identitaire, qu'il désignait comme «la nostra lingua siriaca» (notre langue syriaque).
Dans l’ouvrage «Le Candélabre des Saints Mystères», conservé dans le manuscrit 111 de Kreim, page 146, Estéphanos Douaihy insistait pour que la messe maronite soit célébrée en syriaque, particulièrement lors des paroles de la consécration eucharistique.
«Le Candélabre des Saints Mystères»
L’œuvre de ce grand patriarche, particulièrement «Le Candélabre des Saints Mystères», reflète ses vastes connaissances et sa polyvalence; c’est son œuvre la plus importante pour l’héritage maronite. Il s’agit d’une somme théologique et liturgique encyclopédique qui résume l’identité maronite dans tous ses aspects: artistique, iconographique, architectural, musical, liturgique, théologique et littéraire.
Pour écrire l’histoire et préserver l’héritage de son peuple, Estéphanos Douaihy se basa sur des sources recueillies dans les bibliothèques européennes, les écrits de l’évêque Gabriel Barcleius, ainsi que ses propres recherches à travers les villages et monastères du Liban, où il découvrit des manuscrits riches en informations, tant dans les textes que dans les marges. Parmi eux, il mentionne notamment le livre du Hacho de Maad, ainsi que ceux de Bchéelé, Hadchit et une Chhimto de Mar-Aboun de Hegoula.
Épigraphiste, archéologue, musicologue et philologue, réformateur de l’Église et gardien de son héritage, Estéphanos Douaihy a pleinement mérité son titre de père de l’histoire et principal patriarche, suivant ainsi les traces du fondateur saint Jean Maron.
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