C’était un samedi de juin 2021. Comme tous les samedis, nous mangions une manouché dans le 15e arrondissement de Paris.
Pour la première fois, il me parlait de ce qui allait, cinq mois plus tard, devenir Ici Beyrouth. Son projet.
On percevait, ce jour-là, dans ses beaux yeux clairs, ce moment de passion qui le caractérisait tant. Dès qu’il s’agissait de journalisme, son regard changeait. Nous devions parler du moindre détail. Cette rigueur rare, il la tenait de son parcours dans la presse. Nous nous étions connus, il y a une trentaine d’années, en Irak. Souvent, chacun pour son média, nous nous retrouvions, par hasard, dans un pays pour traiter une «actu». Correspondant de RFI au Liban notamment, il connaissait le pays mieux que personne. Et il l’aimait. De toutes ses tripes. Le Liban coulait dans ses veines. Français de souche, il avait obtenu la nationalité libanaise qu’il arborait fièrement. Il connaissait chaque recoin du pays, son histoire, ses habitants. Il parlait l’arabe et s’énervait quand un mot échappait à sa compréhension, en balançant une insulte bien enlevée qui nous faisait tous éclater de rire. Quand il disait «chez nous», c’est de Beyrouth qu’il parlait. C’est là qu’il se sentait bien. Heureux. C’est d’ailleurs depuis Beyrouth que sa société de production fournit, depuis de très nombreuses années, des correspondants, partout dans le monde arabe.
Ce grand gaillard à grande gueule, dont la voix résonnait dans les couloirs et qui semblait faire peur, était, en réalité, un garçon tendre élevé par Marie-Thérèse, une mère aimante et courageuse. Il avait une générosité unique, une politesse de tous les instants et une foi chrétienne profondément ancrée. Dès qu’il atterrissait à Beyrouth, il filait directement à Mar Charbel avant le moindre rendez-vous. Avant de poser ses bagages.
Il avait un nombre de chapelets impressionnant. Et chacun avait une importance particulière à ses yeux. Il a aidé tellement de personnes, sans jamais le claironner. Beaucoup se reconnaîtront dans ces lignes. Il n’aimerait pas que nous en parlions. Il était sensible et discret. Les photos, les réceptions… ce n’était pas son truc. Les paillettes, c’était pour les autres. Lui se satisfaisait du travail bien fait. C’était cela sa récompense.
Ce qu’il aimait, c’était une partie de trictrac, un bon dîner, avec certains de ses nombreux, très nombreux amis. Et il chérissait son fils unique, Valentin. Plus que tout. Quand il parlait de lui, son visage s’illuminait de la fierté d’un papa qui avait réussi à éduquer un enfant en forgeant, année après année, un jeune homme aujourd’hui complet. Il avait épousé Cynthia, Libanaise, journaliste comme lui, partie de la même maladie à l’âge de 33 ans. Ces dernières années, sa compagne, Sabrina, était la confidente de ses souffrances. Il a attendu que son fils et sa maman soient auprès de lui, en Corse, parce que cela lui rappelait le Liban, pour lâcher prise et partir. Il sera pour toujours, à Bikfaya, auprès de son épouse. C’était notre ami, notre frère. Toute la rédaction d’Ici Beyrouth porte le deuil. Chacun a une histoire personnelle avec lui. Ses proches, Elie, Tylia, en qui il a cru avant tout le monde, pourraient être ses enfants. Ils le sont professionnellement. Et les autres. Je ne peux tous les citer, qu’ils me pardonnent.
Nos larmes coulent mais, lui, doit se moquer de nous de là où il se trouve, près de Mar Charbel.
Il s’appelait Frédéric Domont. Adieu Fredo.
Pour la première fois, il me parlait de ce qui allait, cinq mois plus tard, devenir Ici Beyrouth. Son projet.
On percevait, ce jour-là, dans ses beaux yeux clairs, ce moment de passion qui le caractérisait tant. Dès qu’il s’agissait de journalisme, son regard changeait. Nous devions parler du moindre détail. Cette rigueur rare, il la tenait de son parcours dans la presse. Nous nous étions connus, il y a une trentaine d’années, en Irak. Souvent, chacun pour son média, nous nous retrouvions, par hasard, dans un pays pour traiter une «actu». Correspondant de RFI au Liban notamment, il connaissait le pays mieux que personne. Et il l’aimait. De toutes ses tripes. Le Liban coulait dans ses veines. Français de souche, il avait obtenu la nationalité libanaise qu’il arborait fièrement. Il connaissait chaque recoin du pays, son histoire, ses habitants. Il parlait l’arabe et s’énervait quand un mot échappait à sa compréhension, en balançant une insulte bien enlevée qui nous faisait tous éclater de rire. Quand il disait «chez nous», c’est de Beyrouth qu’il parlait. C’est là qu’il se sentait bien. Heureux. C’est d’ailleurs depuis Beyrouth que sa société de production fournit, depuis de très nombreuses années, des correspondants, partout dans le monde arabe.
Ce grand gaillard à grande gueule, dont la voix résonnait dans les couloirs et qui semblait faire peur, était, en réalité, un garçon tendre élevé par Marie-Thérèse, une mère aimante et courageuse. Il avait une générosité unique, une politesse de tous les instants et une foi chrétienne profondément ancrée. Dès qu’il atterrissait à Beyrouth, il filait directement à Mar Charbel avant le moindre rendez-vous. Avant de poser ses bagages.
Il avait un nombre de chapelets impressionnant. Et chacun avait une importance particulière à ses yeux. Il a aidé tellement de personnes, sans jamais le claironner. Beaucoup se reconnaîtront dans ces lignes. Il n’aimerait pas que nous en parlions. Il était sensible et discret. Les photos, les réceptions… ce n’était pas son truc. Les paillettes, c’était pour les autres. Lui se satisfaisait du travail bien fait. C’était cela sa récompense.
Ce qu’il aimait, c’était une partie de trictrac, un bon dîner, avec certains de ses nombreux, très nombreux amis. Et il chérissait son fils unique, Valentin. Plus que tout. Quand il parlait de lui, son visage s’illuminait de la fierté d’un papa qui avait réussi à éduquer un enfant en forgeant, année après année, un jeune homme aujourd’hui complet. Il avait épousé Cynthia, Libanaise, journaliste comme lui, partie de la même maladie à l’âge de 33 ans. Ces dernières années, sa compagne, Sabrina, était la confidente de ses souffrances. Il a attendu que son fils et sa maman soient auprès de lui, en Corse, parce que cela lui rappelait le Liban, pour lâcher prise et partir. Il sera pour toujours, à Bikfaya, auprès de son épouse. C’était notre ami, notre frère. Toute la rédaction d’Ici Beyrouth porte le deuil. Chacun a une histoire personnelle avec lui. Ses proches, Elie, Tylia, en qui il a cru avant tout le monde, pourraient être ses enfants. Ils le sont professionnellement. Et les autres. Je ne peux tous les citer, qu’ils me pardonnent.
Nos larmes coulent mais, lui, doit se moquer de nous de là où il se trouve, près de Mar Charbel.
Il s’appelait Frédéric Domont. Adieu Fredo.
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