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Cet article devrait être lu par tous ceux qui s’imaginent mettre la main sur le Liban.

Il y a quelques mois, je discutais avec mon ami Frédéric Domont qui vient, très douloureusement, de nous quitter. Je lui faisais part de ma récente expérience libanaise, moi qui ai toujours vécu en France, et de la difficulté à gérer des Libanais au quotidien. Ce très grand connaisseur du pays, m’a répondu: "Ils t’auront à l’usure mon ami." Devant mon air interloqué, il m’a alors dit: "N’oublie jamais les stèles de Nahr el-Kalb."

J’y suis donc retourné. Et j’ai compris. Vingt-deux stèles qui retracent 4000 ans d’Histoire et de conquêtes. Ils sont tous venus, ont vu et sont… partis.

Nabuchodonosor a laissé sa stèle et plié bagage. La première stèle d’une longue série. Le grand Ramsès II, lui aussi, a fini par plier bagage et rentrer se faire adorer en Égypte. Après sa victoire à Qadesh, il se pensait chez lui. L’empereur romain Caracalla, pourtant fou à lier, n’a pas pu tenir la place. Alexandre le Grand, après avoir peiné lors du siège de Tyr, s’est dépêché d’aller chercher sa gloire ailleurs. Se sont ensuite succédé les Arabes, les Croisés, les Ottomans, Napoléon III, puis le mandat français. Tous ces grands souverains et empires ont fini par s’en aller, en laissant le souvenir de leur passage dans les roches de Nahr el-Kalb. Et Fred de conclure: "Même l’armée syrienne des Assad", pas facile à décourager, est partie, la queue entre les jambes. C’est dire!

Les Libanais sont comme ça depuis l’Antiquité, facilement conquis du fait de leurs divisions ancestrales et de la position stratégique du pays. Mais tellement résistants qu’ils finissent par user les plus forts. À bon entendeur salut! Les descendants de Nabuchodonosor sont aujourd’hui dans la place. Eux qui, depuis les guerres médiques contre les Grecs, qui étaient les "Occidentaux" d’alors, tentent de fouler les rivages de la Méditerranée. Et de s’y fixer. Sans jamais y parvenir durablement. Ces dernières décennies, Palestiniens, Israéliens et d’autres ont imposé leur loi, l’espace de quelque temps. Rien n’est jamais acquis, ni définitif sur ce bout de terre qui a vu les humains se sédentariser et commencer à cultiver la terre. Puis, inventer l’alphabet pour simplifier la communication par l’abstraction des signes, remplaçant les dessins. Le pourpre se mariant bien avec le bleu de la mer et le vert des montagnes, ils ont inventé cette couleur qui a magnifié les empereurs romains et leurs toges et pare aujourd’hui les cardinaux. Les Phéniciens, petits malins et déjà âpres commerçants, ont construit des bateaux en bois de cèdre, très résistant, qu’ils ont vendus aux puissantes armées, mettant à nu par la même occasion les montagnes du Liban et entamant ainsi une période, non encore révolue, de saccage de l’environnement de l’un des plus beaux endroits de la planète. On dit même que c’est un architecte de Tyr qui a construit le fameux Temple de Salomon.

Les Libanais rappellent, par certains aspects, un certain petit village gaulois qui résiste encore et toujours… mais ici la potion magique est l’ivresse de l’attachement viscéral à un pays qui renaît toujours de ses cendres.

En 2024, rien n’a changé. À l’intérieur, des querelles sans fin, une danse permanente au bord du volcan, et à l’extérieur, l’appétit toujours aiguisé d’autres peuples. Seulement voilà, tous devraient, avant de se lancer dans de grands projets, jeter un œil aux stèles de Nahr el-Kalb, témoins des naufrages du passé, pour ne pas succomber au syndrome millénaire.

Fred, mon ami, tu avais tellement raison.