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Les attaques d’Israël sur le Liban ont transformé la zone frontalière en "terre brûlée", affectant l’environnement dans le but de créer une zone de "sécurité" inhabitable.

"Tout le monde est parti par crainte de la guerre, personne ne peut vivre sous les bombardements, il n’y a plus de vie ici", déclare Michel, un agriculteur du village frontalier de Wazzani.

Dix mois de conflit ont réduit le sud du Liban à une "terre brûlée", affirme Hicham Younes, responsable de l’ONG environnementale libanaise Green Southerners, lors d’une interview avec Ici Beyrouth.

Le bilan humain est lourd: 116 civils ont été tués, selon le dernier décompte de l’AFP, et plus de 100.000 personnes ont été déplacées. Pourtant, la stratégie d’Israël est multidimensionnelle, infligeant non seulement un coût humain, mais transformant également la nature du Liban.

Mais Michel refuse de laisser la guerre l’obliger à quitter sa terre. "[C’est] le travail de ma vie. J’ai consacré toute mon existence à essayer de créer un paradis, comment pourrais-je simplement tout abandonner?"

La nature menacée

Alors que le Liban est au bord du précipice, la peur de la guerre et la dévastation environnementale subie par le pays s’aggravent depuis des mois.

Selon la Plateforme nationale libanaise d’alerte rapide (NEWSP), 17 millions de mètres carrés de terres ont été endommagés depuis octobre, soit l’équivalent de 2.381 terrains de football – un chiffre qui a doublé depuis janvier.

Cette destruction a des conséquences désastreuses dans une région reconnue pour la diversité de ses écosystèmes et ses paysages uniques, explique Younes. Il ajoute que le Liban-sud "fournit des habitats essentiels pour de nombreuses espèces en voie de disparition, y compris les tortues de mer, les requins et le phoque moine de Méditerranée". "Les anciennes forêts de chênes de la région offrent également des refuges aux hyènes rayées, aux chacals dorés et aux mangoustes d’Égypte, toutes menacées d’extinction."

La guerre menace ces habitats naturels vitaux, entraînant "la destruction importante de broussailles, de vieilles forêts de chênes et de pins […], ce qui cause une dégradation de la biodiversité locale et une contamination des sols".

Younes estime qu’Israël "vise à détruire l’agriculture et les habitats naturels tout en perturbant l’écologie locale dans le but de rendre la zone inhabitable".

L’un des effets les plus insidieux a été provoqué par les feux de forêt, qui se sont multipliés durant l’été chaud et sec du Liban-Sud.

Ameneh Mehvar, chercheuse au Armed Conflict Location and Event Data Project (ACLED), a déclaré à Ici Beyrouth que plus de 6.400 attaques israéliennes sur le Liban ont été enregistrées depuis octobre. "Ces attaques ont causé de vastes incendies de forêts et de terres agricoles", avec au moins 125 incidents répertoriés au cours des dix derniers mois.

Elle ajoute que " des dizaines d’incendies ont éclaté en raison de l’utilisation par Israël de munitions hautement incendiaires, notamment le phosphore blanc".

Phosphore blanc

L’utilisation indiscriminée du phosphore blanc par Israël a été qualifiée d’"illégale" par Human Rights Watch.

Ici Beyrouth a interviewé Antoine Kallab, directeur adjoint du Centre de conservation de la nature de l’Université américaine de Beyrouth, qui, avec Leila Roussa Mouawad, a rédigé un rapport sur l’impact du phosphore blanc.

Selon Kallab, le phosphore blanc "est légitime pour camoufler le mouvement des soldats". Cependant, "il n’y a pas de troupes directement à la frontière, et son utilisation dans les villages, les commerces et les maisons… suggère qu’ils utilisent cette arme pour d’autres raisons".

Le phosphore blanc "génère des réactions toxiques intenses à haute température, pouvant causer des dommages au corps humain, ainsi qu’à l’écosystème, l’agriculture et la terre. La chaleur est suffisamment intense pour brûler des propriétés, des forêts, des zones végétatives – ainsi que des humains",  explique Kallab.

En juin, le Liban a déposé une plainte officielle au Conseil de sécurité de l’ONU condamnant l’utilisation par Israël du phosphore blanc pour brûler délibérément les bois et les forêts.

Selon Green Southerners, son danger vient à la fois d’une exposition directe à ses brûlures toxiques et d’un potentiel "contaminant environnemental" à long terme.

Kallab a découvert dans son rapport qu’il peut entraîner une acidification des sols et une contamination des réserves d’eau, ce qui peut nuire considérablement à la viabilité agricole en raison de la déshydratation, du dépérissement et du flétrissement de la flore.

Cependant, il est difficile de déterminer l’ampleur réelle des dégâts au Liban, déclare Kallab, car une analyse systématique est actuellement trop dangereuse.

Des études menées en Ukraine ont quand même révélé que son utilisation a eu un impact considérable.

Une zone de désastre agricole

Selon les termes du Premier ministre sortant, Najib Mikati, le Liban-Sud est devenu une "zone de désastre agricole".

Selon le Pnud, le Liban-Sud est un centre agricole clé, représentant près de 22% des terres agricoles du pays et 80% de l’économie de la région.

Mikati a rapporté que 800 hectares de terres agricoles ont été complètement détruits, ainsi que 34.000 têtes de bétail décimées, avec une perte de 75% de revenus pour les agriculteurs locaux.

En juillet, une seule frappe de drone sur une ferme à Jezzine a tué 300 animaux, pour une valeur estimée à 100.000 dollars.

Pour Michel, les dix derniers mois ont été éprouvants: "Nous ne pouvons pas donner à la terre la même attention. Nous essayons de désherber, fertiliser, pulvériser les arbres [de pesticides], mais nous le faisons rapidement parce que lorsque les bombardements israéliens commencent, nous devons arrêter."

"Nous ne pouvons accéder à une partie de notre terre parce que c’est trop dangereux, environ 300 dounoums de nectarines et de pruniers ne sont pas accessibles, ce qui représente environ 600 tonnes de fruits que nous ne pouvons pas récolter".

Alors que la guerre rend l’agriculture plus difficile, les coûts de base augmentent.

"Avant, je m’approvisionnais en outils de Kfar Kila, mais maintenant ce village est entièrement détruit, nous devons donc nous rendre jusqu’à Nabatieh… mais les choses deviennent plus chères et je m’endette", affirme Michel.

Détruire les racines des communautés

Selon Action contre la faim, 47.000 oliviers ont été détruits. Pour Younes, l’impact est profond car "certains oliveraies ont des centaines d’années et sont profondément enracinées dans l’identité locale. Endommager ces arbres pérennes revient à endommager les racines des communautés".

Avec plus de 100.000 personnes déplacées, la région est en grande partie vide. "Il n’y a personne sur les routes, il n’y a plus personne, tout est vide… ils ont tous été déplacés de leurs terres, maisons et villages, ils ont tout laissé derrière et ont fui", déclare Michel.

Selon Kallab, un tel déplacement perturbe les schémas naturels de vie, "détruisant les interconnexions entre les communautés et leur sens hérité de l’histoire et de la culture dans un lieu".

Stratégie de terre brûlée

La question reste de savoir pourquoi Israël a mis l’environnement libanais dans sa ligne de mire.

Selon Kallab, "lorsque vous ciblez l’environnement naturel, vous ciblez la capacité d’une communauté à rester dans cet environnement… lorsque vous ciblez la capacité de la terre à produire de la nourriture, l’agriculteur et la communauté autour de lui ne peuvent plus survivre – ils doivent partir".

"Bien que l’on puisse émettre des hypothèses sur les intentions d’Israël, le problème fondamental, lorsqu’on parle d’environnement, est que l’on ne peut faire de distinction entre civils et combattants. C’est une façon de punir les communautés locales pour les actions du Hezbollah, dans le but de détourner le soutien du groupe", ajoute Kallab.

Écocide

La destruction délibérée, étendue et systématique de l’environnement pourrait-elle constituer un écocide (génocide environnemental) ?

Selon Maud Sarlieve, avocate internationale en droits de l’homme et droit pénal, une définition juridique de l’écocide n’existe pas.

"C’est un concept et non une loi", dit Sarlieve. "Le problème fondamental est de savoir comment définir la ‘destruction de l’environnement’… Est-ce qu’un individu qui abat un arbre compte comme écocide?"

Elle souligne que "dans le contexte de la guerre, la destruction de l’environnement est souvent la dernière des priorités, et nous ne pouvons donc pas utiliser le concept [d’écocide] pour mobiliser l’intérêt pour l’impact environnemental de la guerre, et ce, dans le but de renforcer les protections existantes sur l’environnement".

Bien qu’elles existent, les protections n’ont pas été utilisées pour tenir les États responsables des dommages environnementaux en temps de conflit.

Cependant, selon Sarlieve, il s’agit d’un domaine du droit international qui est en développement, et des cas récents relatifs à l’Ukraine et à la Palestine pourraient ouvrir des voies de justice à l’avenir.

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