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72ᵉ patriarche maronite sur le siège d’Antioche depuis le fondateur saint Jean Maron, Elias Pierre Hoayek vient accomplir la vision d’un Liban imaginé et écrit au XVIIe siècle par le patriarche Estéphanos Douaihy. Il l’a réalisé dans la création du Grand Liban en 1920 et dans sa consécration à Notre-Dame, dès 1908, à Harissa. D’aucuns prétendent que les Français lui auraient proposé un État chrétien qu’il aurait catégoriquement rejeté, insistant sur la vocation altruiste des chrétiens d’Orient. Et pourtant, les archives contredisent cette réécriture de l’histoire.

Comme le patriarche Estéphanos Douaihy, Elias Hoayek a été profondément influencé par sa formation à Rome. Celle-ci a permis à ces deux éminentes personnalités de visualiser le Liban dans une cohérence culturelle, géographique, ecclésiastique, littéraire et artistique. Elias Hoayek est venu y ajouter la dimension étatique et politique.    

Bkerké  

Bkerké avait succédé à Dimén, en 1830, comme siège patriarcal de l’Église syriaque maronite pour mieux s’adapter à la réalité démographique de la principauté libanaise, puis en 1861, au Gouvernorat (Mutassarifié) du Mont-Liban. Le choix de Bkerké déplaçait le centre de gravité du nord vers le centre du pays.   

Élu patriarche en décembre 1899, Elias Pierre Hoayek s’était attaché à ce siège jusqu’à sa mort, consacrant la centralité de l’Église et de sa politique dans la géographie libanaise. 72ᵉ patriarche maronite sur le siège d’Antioche depuis le fondateur saint Jean Maron, Elias Pierre Hoayek est venu accomplir la vision d’un Liban imaginé et écrit au XVII° siècle par le patriarche Estéphanos Douaihy.

Hantés par leur foi en un Liban éternel et sacralisé, Estéphanos Douaihy et Elias Hoayek ont concrétisé leur vision dans l’image de la Vierge Marie reine du Liban. Ce fut la grande fresque du couronnement de la Sainte Vierge à Qannoubine pour le premier et la statue du sanctuaire Notre-Dame du Liban pour le second, inaugurée à Harissa en mai 1908. Tous deux avaient compris à Rome l’importance de l’art et de l’architecture pour asseoir la culture et l’inscrire dans le territoire.      

Le parcours politique

Malgré l’effort accompli par Elias Pierre Hoayek dans la construction de l’identité culturelle et territoriale, c’est seulement son parcours politique qui est aujourd’hui retenu par les livres d’histoire et par la société chrétienne en général. Ce parcours, ce projet, est surtout mal compris et volontairement mal transmis.  

C’est en 1919 que ce patriarche se rendait à la Société des Nations pour réclamer l’indépendance libanaise du reste des provinces ottomanes. En 1920, il obtenait la formation de l’État du Grand Liban déclaré par le Général Henri Gouraud.

Le Grand Liban est aujourd’hui agonisant, non pas par la faute du patriarche, ni par sa vision supposée erronée. Cette entité est morte car elle s’est érigée sur le mensonge dès 1943. Des hommes politiques sans la moindre culture politique, mais aussi des membres du Haut clergé s’appliquent toujours à déformer la réalité pour fabriquer une histoire conforme à l’idéologie libaniste et arabiste post-indépendance.

Ils prétendent que les Français auraient proposé au patriarche un État chrétien et que celui-ci l’aurait catégoriquement rejeté, insistant sur la vocation d’ouverture des chrétiens d’Orient. Et pourtant, les archives de Bkerké et du Quai d’Orsay contredisent cette réécriture de l’histoire. Dans toutes ses correspondances avec la France, Elias Hoayek ne faisait que souligner l’importance d’un État chrétien comme seule garantie pour un avenir stable et pérenne en Orient.

Lettre du 15-07-1926

Rien n’est plus explicite que ses lettres au ministre des Affaires étrangères Aristide Briand, dont celle du 15 juillet 1926, rédigée à "Békorki – Néo Kannobin". Dans cette requête, comme dans d’autres, il insistait sur le danger qui guette les chrétiens dans les milieux qui leur sont hostiles. Les méthodes qu’il proposait peuvent paraître aujourd’hui fort choquantes, mais elles étaient courantes à son époque, au lendemain de la Première Guerre mondiale, comme il le souligne lui-même. En effet, il mentionne les transferts de populations qui ont eu lieu dans les Balkans et en Silésie, mais aussi le transfert des Arméniens de Cilicie vers le Liban.

Il proposait cette solution pour certaines régions libanaises en continuelle ébullition, entraînant couramment des massacres de civils chrétiens. Il cherchait à obtenir une population culturellement homogène qui mette un terme à ces instabilités incessantes. "Cette situation incertaine, écrivait-il, cause un malaise dans le Liban et devant cette incertitude, l’élément sain et fidèle se décide à émigrer".

Lettre du 15 juillet 1926 – Archives de Bkerké, document 95, dossier 44, in Documents politiques du Patriarche Hoayek, Père Estéphan Khoury.

Cette affirmation du patriarche Hoayek contredit fermement toutes les platitudes poétiques sur son prétendu projet de Liban message. Cette falsification et ceux qui la répandent sont directement responsables de l’hémorragie que connaît la démographie chrétienne du Liban, qui avait été prédite par Elias Pierre Hoayek dès les années 1920.

Les conditions de pérennité

Ce patriarche avait maintes fois énuméré les conditions incontournables pour assurer la pérennité du pays. La réussite ou la faillite totale de son projet n’était pas due à sa nature, mais à l’accomplissement de ces conditions.  

En premier lieu, il souhaitait explicitement que le mandat français ne prenne jamais fin et reconnaissait les dangers existentiels d’une telle issue. Il se référait constamment à "la France que les vœux des Libanais appellent à toujours rester chez eux". Cette condition n’a nullement été respectée puisque la France a été chassée du Liban alors qu’elle était sous occupation et qu’elle avait le plus besoin de ses amis.

Aussi le Liban se devait de faire partie du monde occidental, encore incarné à l’époque par la France. Le patriarche faisait ainsi de ce projet national "un foyer de fidélité à toute épreuve à la France", comprendre par là à l’Occident. Cette seconde condition n’a pas été non plus respectée puisque les héros de l’indépendance ont rattaché le Liban à l’Orient arabe, à la fois culturellement et politiquement. Ils l’ont éloigné de ses protecteurs naturels pour le noyer dans les causes palestiniennes et du panarabisme.

Le patriarche écrivait également dans sa lettre à Aristide Briand que "l’idée primordiale qui a présidé à la formation de l’État libanais était de constituer un État refuge pour tous les chrétiens de l’Orient". Encore une condition lamentablement ignorée lorsque le Liban a refusé la nationalité libanaise aux maronites émigrés au XIX° siècle, ainsi qu’aux communautés syriaques fuyant la mort en Syrie, en Iraq et en Turquie.

La révision des frontières

Dans sa lettre au Quai d’Orsay, Elias Hoayek refusait la cession de Tripoli et de Baalbek à la Syrie, en soulevant la nécessité de procéder à des échanges de populations à l’instar d’autres régions détachées de l’empire ottoman. En effet, en 1923, le traité de Lausanne exigeait, dans son article premier, "l’échange obligatoire des ressortissants turcs de religion grecque orthodoxe établis sur les territoires turcs et des ressortissants grecs de religion musulmane établis sur les territoires grecs". Cette méthode, aussi inhumaine soit-elle et inconcevable de nos jours, assurait, selon le patriarche de l’époque, la sécurité et la paix pour les générations à venir.

Il ne croyait nullement à la viabilité d’un pays multiculturel et avait clairement exposé son plaidoyer à diverses occasions. Son successeur, Antoine Pierre Arida, sera férocement combattu par les idéologues libanistes et arabistes qui ont réussi à le faire isoler par le Vatican et à détourner le projet du patriarche Hoayek. Ils vont aujourd’hui jusqu’à le déformer dans son essence et le noyer dans un tissu létal de virtuosités romantiques.