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Selon les Forces de sécurité intérieure (FSI), 168 suicides ont été enregistrés en 2023, soit un tous les deux jours, contre 138 en 2022. Ces chiffres se rapprochent de ceux de 2019, l’année qui a compté le plus de suicides de la dernière décennie.

Mettre fin à ses jours n’est jamais une décision facile, surtout après avoir épuisé toutes les ressources pour tenter de résoudre ses problèmes. Chaque année, plus de 700.000 personnes mettent fin à leurs jours à travers le monde, faisant du suicide la dixième cause de décès, selon le magazine Ceoworld. Cette situation alarmante incite les organisations internationales, les ONG et les institutions de santé à sensibiliser sur l’urgence de lutter contre ce phénomène qui touche profondément la société et bouleverse des familles entières.

Le 10 septembre marque la Journée mondiale de la prévention du suicide, instaurée en 2003 par l’Association internationale pour la prévention du suicide (IASP) en collaboration avec l’Organisation mondiale de la santé. Cette journée vise à sensibiliser les organisations, les gouvernements et le grand public au fait que le suicide peut être évité grâce à des efforts accrus de soutien aux personnes en détresse, réduisant ainsi les taux de mortalité.

Le Liban traverse des crises économiques, sécuritaires et sociales exacerbées depuis 2019. Faute de solutions, les souffrances des citoyens se sont aggravées, entraînant une augmentation alarmante des suicides, selon les spécialistes. En 2023, les FSI ont enregistré 168 suicides, soit un tous les deux jours, contre 138 en 2022. Cela représente une hausse de 21,7% par rapport à 2022 et de 46% par rapport à 2021, avec des chiffres qui se rapprochent de ceux de 2019, l’année la plus sombre de la dernière décennie.

Témoignages de survivants 

Jawad ne cache pas les difficultés qu’il a endurées ces dix dernières années, ponctuées de nombreuses tentatives de suicide. Rongé par des troubles psychologiques et une profonde dépression, il a maintes fois envisagé de mettre fin à ses jours, mais à chaque fois, la providence l’a sauvé. Au terme d’une longue thérapie, Jawad a repris du poil de la bête et mène aujourd’hui une vie dynamique qui reflète sa véritable personnalité. Il voit désormais le verre à moitié plein et envisage l’avenir avec optimisme.

De son côté, Rouba aborde son passé, également marqué par des tragédies, avec une sérénité retrouvée. Après avoir tenté de mettre fin à ses jours en absorbant une overdose de médicaments à la suite d’une rupture amoureuse, elle se remémore le soutien inconditionnel de ses proches qu’elle considère comme ses piliers. Consciente de la douleur qu’elle leur a causée, elle leur adresse ses excuses sincères. Rouba encourage ceux qui traversent des périodes difficiles à ne pas garder leurs souffrances pour eux-mêmes, affirmant que, selon elle, exprimer ses émotions reste le meilleur remède.

Préparation psychologique et soutien moral

Les causes du suicide sont multiples, et ses conséquences tragiques. Selon la docteure en psychologie sociale et conseillère en développement personnel, Ferial Halawi, "le suicide est un phénomène ancien qui touche toutes les sociétés. Il est causé par des facteurs économiques, culturels et sociaux. La crise économique exacerbée que connaît le Liban depuis 2019 a certes intensifié la pression sur les gens. Cependant, il est essentiel de prendre en considération la préparation psychologique des individus et leur capacité à affronter les difficultés. Cette capacité varie d’une personne à l’autre, même au sein d’une même famille. Ainsi, les réactions aux crises dépendent de l’état psychologique de chacun et de ses ressources pour les surmonter".

La psychologie aborde généralement les cas de suicide de manière individuelle, traitant chaque situation de manière distincte. Les pressions financières, économiques et émotionnelles peuvent générer un sentiment de désespoir et d’impuissance, particulièrement chez certains jeunes. Ils peuvent alors se sentir insatisfaits et commencer à envisager le suicide. Tandis que certains font plusieurs tentatives et sont souvent sauvés par leur hésitation ou des facteurs imprévus, d’autres réussissent dès la première.

Le soutien familial est fondamental pour surmonter les difficultés et les pressions psychologiques. La docteure Halawi insiste également sur l’importance du niveau d’éducation et du soutien religieux, qui peuvent jouer un rôle précieux dans l’accompagnement des individus. Elle met en avant l’impact significatif des relations affectives saines, qu’elles soient positives ou négatives, sur les adolescents. Elle recommande vivement aux parents de rester attentifs à la vie de leurs enfants et aux changements dans leur comportement, même à distance.

En parallèle, elle souligne la "responsabilité cruciale" de l’État dans la sensibilisation et la mise en place de programmes de soutien psychologique et social via les associations et les médias. Elle déplore le manque d’initiatives étatiques, notant que les efforts actuels proviennent principalement d’initiatives individuelles ou d’organisations de la société civile. Selon elle, l’absence d’action de l’État pour la résolution des causes profondes de la crise, l’amélioration des conditions de vie et des soins médicaux, ainsi que la réduction des inégalités sociales peut faire que les individus se sentent dépassés et vulnérables, et alimenter leurs pensées négatives et leur désespoir.

Informer est essentiel

Le problème dans l’étude du suicide réside dans le manque de culture concernant la santé mentale au sein de la société. La docteure Halawi regrette que les tentatives de suicide ne soient pas systématiquement signalées. Si elles l’étaient, il serait possible d’intervenir efficacement en offrant un soutien psychologique et social approprié aux personnes en difficulté. Quand un suicide se produit, les familles et les proches préfèrent souvent garder le silence, ce qui complique la documentation de ces cas et freine les efforts de sensibilisation du grand public. La docteure Halawi insiste sur l’importance de promouvoir la santé mentale, de la traiter avec sérieux et d’encourager les personnes à consulter des spécialistes, car exprimer ses problèmes peut sauver des vies.

Pour y parvenir, le 1564, la ligne nationale d’assistance au Liban pour le soutien psychologique et la prévention du suicide, offre un soutien précieux aux personnes en détresse ou ayant des pensées suicidaires.