Au lendemain du massacre du 13 Novembre à Paris, révolté par l’ampleur de la barbarie, un révolutionnaire libanais parfaitement intranquille, Samir Frangié, déjà rongé par la maladie et les " hommes malades " de chez nous – alliés autant qu’adversaires – tentait, selon ses habitudes, de sublimer l’indescriptible horreur de l’abject par l’espérance de la pensée. L’idée qui germa dans son esprit, en communion avec l’auteur de ces lignes, pour empêcher qu’un nouveau " mur de la haine " sépare les deux rives de la Méditerranée, et au-delà, le monde entier, était d’initier une " intifada de la paix " pour mobiliser ce qu’il appelait les " modérés du monde entier ". C’est-à-dire, dans son lexique, non pas des gens inodores, incolores, insipides et veules, mais ceux qui, conscients de leurs responsabilités à préserver l’héritage de la liberté et des droits de l’homme, étaient capables de se coaliser pour faire face à " la montée aux extrêmes " définie par l’anthropologue René Girard, et de redéfinir entre eux des réseaux de résistance pour cimenter une culture du lien réparatrice et salutaire.
Paris saignait, mais l’être libanais universaliste en Frangié pleurait et retenait son souffle. La terreur frappait la Ville des Lumières en plein cœur, mais lui, doté d’une sensibilité politique à fleur de peau, en saisissait ici, à Beyrouth, toute la portée universelle. Il voyait déjà, avec grande inquiétude, la planète post-mondialisée se disloquer et se replier dans des forteresses, non seulement sous les coups de butoir des terroristes et des tyrans, mais du fait aussi des crises liées à l’environnement et à la santé. Il subsumait cette alliance objective entre les parangons de la violence et de la haine dans leur désir de se nourrir mutuellement et s’entraider objectivement pour affaiblir et annihiler lesdits " modérés ". Pour un esprit lucide sorti de la Caverne depuis des lustres et parfaitement rompu aux stratégies subversives des chantres régionaux de la dictature et de la scélératesse, cette alliance entre les extrêmes était claire comme de l’eau de roche.
Quinze ans auparavant, en compagnie d’un autre Samir (Kassir), lui aussi sorti des carcans idéologiques hérités de la guerre libanaise et habité par cette même volonté de fédérer autour d’un rêve libanais commun, d’un centre réticulaire à la fois suffisamment souple et solide pour gérer les spécificités et les différences sans casser, Frangié avait déjà été l’un des cerveaux de la réconciliation du 14 mars 2005 et de la résistance culturelle visant à libérer le Liban de l’occupation syrienne. Avant de devenir, par la suite, alors que ses compagnons de route tombaient les uns après les autres sous les coups de butoir des Pasdaran et de leur satellite local, le Hezbollah, l’un des opposants les plus assidus au processus rampant de phagocytose du Liban mené par les affidés de l’Iran. Kassir sera d’ailleurs le premier après Rafic Hariri à être exécuté par la Faucheuse perse.
Conscients de la compulsion maladive des alliés aux coups de Jarnac et de la perfidie mortelle des Assassins, et anticipant la profonde et dévastatrice descente aux enfers sur le plan sociétal et éthique, les deux Samir, Frangié comme Kassir, ont lutté à leur manière, jusqu’au bout de leurs forces, pour un " autre Liban " – la formule est du premier, " un Liban de paix, riche de la diversité exceptionnelle de sa société, un Liban ouvert sur le monde et capable de jouer le rôle qui lui est dévolu, un Liban tourné vers l’avenir ", et fondé, aux antipodes de la haine, l’égoïsme, la cupidité, l’arrogance, sur " la solidarité, le don, la gratuité, l’empathie, la non-violence ".
Ce sont autour de ces valeurs que des centaines de milliers de Libanais ont pris d’assaut le centre-ville de Beyrouth en 2019 pour la souveraineté et les réformes, la dignité humaine, l’égalité, la justice sociale et la citoyenneté, la justice et la fin de l’impunité, et surtout la liberté constitutive de la personne humaine comme principe inaliénable.
Ce n’est rien moins qu’un appel à une " résistance culturelle " par la parole et par la plume, dans l’esprit du père Sélim Abou, ancien recteur de l’Université Saint-Joseph, pour défendre et promouvoir ces mêmes valeurs et édifier cet " autre Liban " délivré de l’occupation iranienne et nettoyé du populisme, de la corruption, de l’impunité et de la culture de l’apartheid qu’Ici Beyrouth lance aujourd’hui du cœur même de la capitale libanaise aux Libanais du Liban et de l’exil, en prêtant le serment de toujours montrer l’exemple et le chemin de l’indépendance et de la liberté.

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