Un membre du comité technique chargé d’étudier la proposition du médiateur américain Amos Hochstein, concernant la démarcation de la frontière maritime entre le Liban et Israël, confirme que ce dossier est toujours sur le tapis, même si pour l’heure il semble gelé.

Amos Hochstein est attendu après les élections législatives seulement à Beyrouth, pour que l’Administration de Joe Biden ne soit pas accusée d’ingérence dans le scrutin, ce qui pourrait profiter à ceux qui souhaiteraient torpiller le scrutin et verraient dans la visite de n’importe quel responsable américain une immixtion dans les affaires libanaises.

Le dossier semble en tout cas sous des auspices positives, en raison non seulement de son importance stratégique pour le Liban, mais des intérêts politiciens qui s’y greffent.

Une démarcation de la frontière maritime avec Israël, grâce à la médiation américaine, pourrait restaurer la confiance extérieure dans le chef de l’État Michel Aoun, boudé au niveau international, à partir du moment où il se confirme qu’il traite ce dossier avec les Américains. Pour l’équipe présidentielle, la délimitation des frontières avec Israël fait partie des trois dossiers que Michel Aoun cherche à conclure avant la fin de son mandat afin de damer le pion à ses détracteurs. Dans ce contexte, d’aucuns placent la position positive américaine par rapport au Liban et en particulier vis-à-vis de la présidence de la République, dans le contexte d’un "renvoi d’ascenseur" suite à la position prise par cette dernière à l’égard de la guerre sur l’Ukraine. Pour rappel le Liban avait condamné l’invasion russe de ce pays et appelé à un cessez-le-feu ainsi qu’au retrait des troupes russes, ce qui lui a valu nombre de critiques de la part de certaines forces politiques qui désapprouvaient cette position.

Un membre du comité technique, auquel le duopole chiite a refusé de participer, dévoile des informations sur les travaux du comité. Trois réunions ont eu lieu jusqu’à présent, dont la dernière avait été présidée par M. Aoun pour décortiquer la proposition d’Amos Hochstein. Ce dernier prévoit une ligne sinueuse dont le point de départ est la ligne 23 à partir de Naqoura et non la ligne 29 défendue par le Liban. La présidence avait accepté la proposition Hochstein, ce qui avait soulevé un tollé dans le pays.

Les trois réunions ont donné lieu à deux solutions : la première étant de se conformer à la ligne 23 et d’adopter donc le tracé sinueux grâce auquel le Liban obtiendra les pleins droits sur les eaux du champ de Cana alors qu’Israël conservera la souveraineté sur les fonds. Le tracé sinueux part du point 23 puis s’écarte après Qana pour rencontrer la ligne Hof faisant ainsi perdre au Liban une partie de sa Zone économique exclusive.

La seconde serait de s’accorder autour d’une entreprise internationale pour explorer les champs de Cana et Karish, et répartir la production selon les ratios Hof, soit 55% au Liban et 45% à Israël. Cependant, les milieux proches du comité précisent que la proposition de Hochstein préserve le droit d’Israël sur les fonds de Cana, ce qui contraindra le Liban à obtenir l’approbation d’Israël pour effectuer des prospections. Selon ces sources, cette pirouette s’explique par l’importance des gisements de Cana réalisée après la découverte par l’État hébreu de l’importance du camp de Karish et de la quantité de gaz qu’il contient. Cana et Karish se trouvent sur la même ligne souterraine et l’un des membres du comité craint qu’ils ne soient reliés sous l’eau, d’où les craintes de voir Israël utiliser des techniques pour subtiliser le gaz à Cana. Toujours selon ces milieux, le Liban fera appel à une entreprise internationale pour mener une étude hydrogéologique afin de déterminer le volume des réserves de gaz, et examiner si les deux champs sont connectés et s’il existe des techniques qui permettraient à Israël de subtiliser le gaz du Liban. En outre, ces milieux révèlent qu’après avoir discuté et étudié tous les aspects techniques et politiques de la proposition de Hochstein et examiné son rendement, il a été convenu de rédiger une proposition visant à l’amender afin de donner au Liban la pleine souveraineté sur les eaux et les fonds de Cana, de  même pour Israël en ce qui concerne Karish, à travers une ligne médiane qui se situerait entre les lignes 23 et 29. Le Liban attend le retour de Hochstein pour lui présenter cet amendement.

Sauf que le président de la Chambre Nabih Berry – à qui Michel Aoun avait communiqué les résultats des travaux du comité, lors d’une réunion à laquelle le Premier ministre Nagib Mikati avait pris part – redoute que la proposition de Hochstein présentée par le président ne soit un prélude à une normalisation politique qui commencerait au niveau des "affaires". En attendant d’y voir plus clair, le Liban a refusé de participer à l’exploration gazière et de répartir la production selon les pourcentages proposés. Partant, de sources proches de ce dossier, rapportent que les présidents sont convenus de s’en tenir à l’accord-cadre, soit à la négociation et la démarcation, sans s’arrêter aux lignes, et de revenir aux réunions de Naqoura, c’est-à-dire de garder le dossier sous l’égide des Nations unies et de la médiation américaine, rejetant ainsi tout accord qui se fera par le biais des navettes effectuées par Hochstein entre Beyrouth et Tel-Aviv, pour la raison suivante :  si un accord est conclu comment et où se fera la signature?

Par ailleurs, dans les milieux proches du comité, on précise que le Liban n’est pas tenu de répondre à la lettre de Hochstein par une autre, contenant une réponse officielle de Beyrouth. Et d’ajouter qu’il n’y a aucune obligation pour le pays de répondre et encore moins une date limite pour ce faire.

Le médiateur sera informé de la position du Liban à son retour, donc après les élections. Dans les mêmes milieux, on dit que la proposition du Liban est claire en termes d’exercice de la souveraineté de chaque pays sur ses champs, du refus du partenariat et du rejet des tracés sinueux proposés. En outre, le Liban a préparé une proposition de solution au médiateur. Si Israël veut faciliter le règlement du différend et faire les concessions qu’il prétend, il n’a qu’à accepter la proposition libanaise qui prouve la souveraineté de l’État hébreu sur Karish et celle du Liban sur Cana.  Ainsi, toute tentative israélienne d’attirer le Liban vers une normalisation sera écartée.

La position de Michel Aoun concernant la proposition de Hochstein et son acceptation de la ligne 23 ont eu des retombées politiques allant jusqu’à la surenchère, selon les proches du pouvoir. Certaines forces ont accusé le chef de l’État d’avoir abandonné la ligne 29, sachant que cette ligne fait l’objet de négociations et n’est pas une ligne définitive. Les cercles de l’opposition affirment que le duopole chiite a rejoint la position de Michel Aoun sur la démarcation. Le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah a d’ailleurs appuyé cette décision en assurant son soutien à l’État et aux décisions qu’il prendra.  Les observateurs imputent la position du duopole chiite à la volonté de prendre part au règlement. Selon l’équipe du président, la partie américaine exerce des pressions pour boucler ce dossier, ce à quoi œuvre le président Aoun par ailleurs pour contrer ses détracteurs. Ce dernier espère que la finalisation du dossier de la démarcation des frontières maritimes laissera une empreinte positive à son mandat, vu qu’elle lui permettra d’obtenir des ressources pour le Trésor qui lui donneront un levier pour combler le déficit et de faire face à la crise financière et économique.

À ce titre, le Liban continuera à recevoir l’aide et le soutien des États-Unis et de leurs alliés. Un responsable américain a déclaré récemment que le Liban restait toujours une priorité pour l’Administration américaine qui continue à lui porter de l’intérêt. Ce responsable confirme d’ailleurs que Joe Biden reçoit des rapports quotidiens sur le Liban et examine avec les responsables au sein de son administration les moyens pour l’aider.