Les enjeux de la bataille électorale dans la circonscription de Liban-Nord III sont nombreux au niveau de la scène chrétienne, avec entre autres questions qui se posent celle qui anime tous les esprits : ces élections sonneront-elles le glas du aounisme ?

Les analystes sont unanimes : la circonscription du Liban-Nord III est celle où la bataille sera la plus enflammée, et sans doute aussi la plus cruciale au regard de son issue le 15 mai prochain. L’un de ses enjeux est en effet l’avenir du parti de Gebran Bassil, mais aussi la présidentielle à venir. Il faut dire que les chefs des trois principales formations de cette circonscription, presqu’exclusivement chrétienne, sont présidentiables et pourraient peut-être, dépendamment des circonstances, franchir le seuil de Baabda à l’issue du mandat Aoun, à la fin du mois d’octobre.

A en croire certaines informations, le secrétaire général du Hezbollah semble dès à présent plaider pour l’élection à la tête de l’État de Sleiman Frangié, chef des Marada, dont le fief est Zghorta ; et il tenterait pour cela d’obtenir le soutien de Gebran Bassil, chef du CPL, député de Batroun, et qui paraît déterminé à succéder à son beau-père. Hormis ces deux " présidentiables " (du moins si l’on s’en tient à la volonté du leader chiite, que le concept de légitimité par les urnes ne semble pas émouvoir outre mesure), le troisième éternel candidat n’est autre que Samir Geagea, originaire du caza de Bécharré où son épouse Sethrida est une nouvelle fois candidate à sa réélection.

Pour rappel, le nombre de sièges à pourvoir au sein de la circonscription Liban-Nord III est de 10, répartis entre 3 sièges maronites à Zghorta, 2 sièges maronites à Batroun, 2 sièges maronites pour Bécharré et 3 sièges grec-orthodoxes pour le Koura. En 2018, le triumvirat du Nord s’était clairement reflété dans les urnes, avec 3 sièges pour les Forces Libanaises, 3 pour le CPL (devenus 2 après le retrait de Michel Moawad du bloc parlementaire aouniste) et 4 pour les Marada (3 + leur allié du PSNS Salim Saadé).

Batroun : La fin d’une courte gloire pour Bassil ?

Dans nombre de ses récentes interventions, le candidat à Batroun Majd Harb (fils de l’ancien député et ministre Boutros Harb) a insisté sur la possibilité de faire chuter Gebran Bassil dans son propre fief, " malgré le fait que la loi électorale soit taillée par lui à sa propre mesure ". Dans l’émission Sar el Waet de la chaine MTV, M. Harb a par exemple déclaré que " l’aura de Gebran Bassil va se briser à Batroun puisque ce caza ne contient ni armes du Hezbollah, ni soutien de son beau-père, le président ". Il a également dénoncé la volonté de l’intéressé de reporter les élections, ce qui démontrerait implicitement la possibilité de le renverser.

Notons qu’en dépit de sa nomination en tant que ministre en 2008, Gebran Bassil avait dû attendre 2018 pour être élu dans sa ville d’origine, après deux échecs électoraux. L’avocat Majd Harb bénéficie en tout cas des soutiens du député démissionnaire Michel Moawad, du parti Kataëb, et du réservoir électoral de son père.

Du côté des Forces libanaises, la détermination à battre Bassil est tout aussi caractérisée. C’est dans ce cadre que Samir Geagea a donné le coup d’envoi de sa campagne en présentant son candidat à Batroun, Ghayath Yazbeck, ancien rédacteur-en-chef du journal télévisé de la MTV. Il convient ici de rappeler que les FL conservent une assise importante à Batroun dans la mesure où le second député sortant du caza, Fadi Saad, est membre du parti de Geagea.

Sur les listes de la " thawra ", c’est la candidature d’une autre consœur, Layal Bou Moussa (ancienne reporter à Al-Jadeed), qu’il faudrait signaler. Elle mise pour sa part sur une campagne très axée sur le travail de terrain, dans l’espoir de prendre la place de l’un des sortants. La bataille s’annonce néanmoins rude, du fait que M. Bassil joue l’avenir de sa formation et ses concurrents directs sont débutants dans le monde des législatives, dans la mesure où il s’agit de leur première campagne. M. Bassil fera donc tout son possible pour mobiliser ses troupes, sur le territoire comme à l’étranger.

La difficulté pour les autres prétendants vient surtout du fait que deux sièges maronites sont à pourvoir dans le caza de Batroun, ce qui exigerait donc que le chef du parti aouniste soit en 3e position ou moins en termes de nombres de voix. Évincer Bassil ne sera donc pas chose facile, malgré la grande contestation qu’il a particulièrement suscitée auprès des membres de la thawra en 2019 et jusqu’à présent, ce qui lui aura valu d’être qualifié d’ " homme le plus détesté du Liban ". Ses adversaires semblent cependant tout aussi résolus que lui à remporter le scrutin.

Bécharré et Koura, la fidélité face au changement

Dans le caza de Bécharré, le suspense est tout de suite beaucoup moins présent. La région est depuis de nombreuses années fidèle à la cause des Forces Libanaises, au point d’en être considéré le bastion. Si l’affiliation au parti des deux députés sortants, Sethrida Tawk Geagea et Joseph Ishac, ne suffit peut-être pas à le démontrer, le fait que le bureau chargé des élections à Meerab ait déjà réparti les voix des villages du caza de manière à assurer la réélection des deux semble montrer que le jeu est plié d’avance. Cela n’a néanmoins pas dissuadé les partis de la " Révolution " d’y tenter leur chance, et l’on peut à ce titre citer la candidature notable de Riad Tawk, présentateur et journaliste d’investigation à la MTV, sur la liste " Chamalouna " (Bloc National et indépendants) à Bécharré.

Quant au caza du Koura, il demeure considérablement imprégné d’une idéologie pro-syrienne qui se manifeste par les victoires continues de candidats du 8 Mars (surtout PSNS). Les sortants sont aujourd’hui Salim Saadé (PSNS, rallié aux Marada) et Georges Atallah (CPL), tous deux candidats à leur réélection ; Fayez Ghosn, ancien vice-président des Marada, qui avait été élu en 2018, est décédé en 2021. C’est Fadi Ghosn, le frère de ce dernier, qui tentera de lui succéder. Si la bataille semble là aussi jouée d’avance, il ne faut pas sous-estimer l’ambition des FL d’y rafler un siège grâce à la candidature de l’ancien député du caza, Fadi Karam, élu à l’élection partielle de 2012 à la suite du décès du député FL Farid Habib, mais qui avait ensuite perdu sa place aux législatives de 2018.

À Zghorta, la tradition et le rôle des expatriés

Zghorta est aux Marada ce que Bécharré est aux FL. Mais pour Tony Frangié, fils de Sleiman Frangié, les élections ne devraient pas nécessairement être une formalité. Déjà élu en 2018, il mènera la bataille pour les 3 sièges maronites du caza aux côtés de l’ancien député Marada Estephan Doueihy et de leur colistière Carole Dahdah. Le leader du parti, Sleiman Frangié, semble avoir choisi de maintenir sa volonté de viser la magistrature suprême et de laisser cette fois encore la place de l’Etoile au profit d’une éventuelle arrivée à Baabda.

Mais leur concurrent Michel Moawad, élu en 2018 dans le cadre d’une alliance avec le CPL, ne semble pas vouloir leur laisser la voie libre. Bénéficiant d’une solide assise populaire et d’un poids électoral dans la région tout aussi important, le chef du mouvement de l’Indépendance, fils du président assassiné René Moawad et de l’ancienne députée Nayla Moawad, perd, certes, le soutien du CPL, mais il gagne en contrepartie celui des Kataëb et d’autres indépendants. Il pourra également compter sur le poids électoral à Zghorta de l’ancien député du 14 Mars Jawad Boulos. Le CPL a de son côté présenté Pierre Raffoul, ancien ministre d’État, pour tenter de remporter un siège.

En ce qui concerne Zghorta, il faut signaler l’importance capitale du vote des expatriés qui, dans leur grande majorité, s’étaient tournés vers Michel Moawad en 2018, et dont le choix pourra être déterminant.

Autres enjeux

Par ailleurs, le poids des sunnites n’est pas à négliger dans la circonscription. Traditionnellement acquis à la cause du courant du Futur qui a choisi de se placer en retrait de ces législatives, leurs voix devraient a priori se tourner vers des listes radicalement anti-Hezbollah, et donc bénéficier à l’alliance Kataëb-Moawad-Harb ou à la liste FL.

Enfin, le mouvement du 17 octobre semble avoir incité plus d’un à déposer sa candidature dans cette région, pourtant solidement acquise aux partis traditionnels. Hormis la liste Kataëb-Moawad-Harb, trois listes sont en effet en lice dans le camp contestataire : l’une représentant le Bloc national et autres indépendants, une autre représentant le parti de Charbel Nahas (Citoyens et Citoyennes dans un État), sans oublier une troisième liste d’indépendants qui a choisi pour nom " Vote consciencieusement ". Ces élections seront en tout cas décisives pour démontrer le poids réel de ces formations nouvelles et surtout, à terme, pour orienter la boussole vers la personne qui sera le prochain président de la République libanaise.