Pour une architecture des églises maronites contemporaines (2/2)
Lorsque le Liban connaît son essor économique et culturel sous le gouvernorat de la Montagne entre 1860 et 1914, c’est toute l’architecture libanaise qui se redéfinit. Dans le commerce entre le Mont-Liban et Lyon, à travers les ports de Beyrouth et de Marseille, de nouveaux matériaux et de nouvelles techniques sont introduits dans la Montagne. L’autonomie, la protection des puissances européennes, la sécurité, la prospérité de la ville portuaire de Beyrouth, tout cela contribue au développement de l’industrie, des écoles, des universités et se reflète dans l’architecture. Les maisons, dont le style médiéval avait survécu jusque-là, sont dès lors surmontées de nouveaux étages coiffés de toitures légères en tuiles. Cette légèreté permet l’ouverture de baies plus grandes introduisant la lumière vers l’intérieur et le raffinement sur la façade. Avec toutes ces transformations, les silhouettes des villages se retrouvent rehaussées. Il y a plus d’étages, plus de hauteur par étages et le tout surmonté d’une toiture pyramidale.

Dans cette nouvelle réalité, le hayklo (sanctuaire) traditionnel, cette charmante église maronite munie d’une petite cloche, ne fait plus le poids. Non seulement ce hayklo ne peut plus contenir le nombre croissant de paroissiens, mais il disparaît du paysage, englouti par les nouvelles maisons à arcades, plus élevées et à toitures en tuiles.

Le modèle basilical
La réponse des architectes de l’époque ne se fait pas attendre. Ils profitent alors des mêmes techniques et des matériaux qui avaient transformé l’architecture profane. Ils reconçoivent l’église maronite en s’appuyant sur les réalités nouvelles. D’une part, ils prennent en compte leur culture latinisée depuis la fondation du Collège maronite de Rome en 1584 et encore plus modernisée avec les nouvelles écoles de la Montagne. D’autre part, ils bénéficient des possibilités offertes par la légèreté de la toiture en tuile. Ces deux données les dirigent vers un nouveau modèle dit basilical et connu dans les villages sous le nom de béghdédé.

Cette nouvelle église maronite s’élève à nouveau pour dominer la silhouette des villages. Ses nouvelles proportions assurent l’accueil du grand nombre et sa hauteur l’impose à nouveau dans le paysage. Son clocher, inspiré du monde latin, ne se pose plus sur le toit, mais prend naissance au niveau du sol pour exprimer sa verticalité et s’élever haut vers le ciel.

Ce qui permet de comprendre cette nouvelle possibilité, c’est justement le nom curieux de béghdédé. Ce dernier se réfère à une technique employée dans les maisons afin de construire des plafonds légers sous la toiture en pente. C’est une structure en paille et roseaux, enduite de terre, de chaux et de plâtre. Les architectes du XIXᵉ siècle l’emploient alors pour la création des voûtes des églises. Surmontées de la toiture en tuile, ces voûtes ne sont plus que décoratives. Leur légèreté leur permet d’être plus élevées et de couvrir des portées plus importantes. Les murs latéraux peuvent aussi s’agrémenter de fenêtres plus larges et donc accueillir la nouvelle technique du vitrail.

Ces courbes en béghdédé ne choquent nullement. Car au XIXᵉ siècle, les voûtes des églises du Liban sont encore enduites et peintes de la couleur bleue céleste. Le tout est ensuite enrichi d’étoiles dorées, argentées ou encore blanches pour les plus humbles. Cette tradition ne permet plus de distinguer entre les voûtes de pierre ou de plâtre.

Les canons de l’architecture sacrée maronite
L’église maronite dite basilicale se développe, comme la maison libanaise à hall centrale, durant la période du gouvernorat de la Montagne. Et comme cette maison emblématique de l’architecture libanaise, elle est une expression typique de notre héritage. Cependant, elle est injustement considérée comme une importation latine, et n’a pas reçu la reconnaissance qu’elle mérite. Pourtant, elle est on ne peut plus conforme à la tradition maronite dans ses moindres détails. Contrairement aux prouesses de nos architectes modernes, elle respecte l’ensemble des canons de notre architecture liturgique : l’orientation, l’abside flanquée de deux absidioles, les marches vers le chœur doublées d’une balustrade avec ses trois portes et ses deux lutrins, ainsi que la marche vers l’autel toujours en pierre. Il y a aussi le baptistère en entrant à gauche et le bénitier à droite, tous deux en matériau noble ; il y a un tabernacle derrière l’autel ou dans l’absidiole de gauche, et enfin les 14 stations du chemin de Croix toujours visibles et figuratives pour catéchiser les fidèles. Sans oublier le confessionnal caractéristique en Orient des églises maronites et latines.


La sacristie, par son nom sacristia, dénote l’influence de Rome, alors que le haut du clocher, traité souvent en baldaquin, perpétue la tradition syriaque. L’église basilicale maronite peut présenter un ou deux clochers, parfois même trois. Ils sont alors coiffés de coupoles ou de toitures en pente de pierre ou de tuile, tantôt coniques, tantôt pyramidales.

De nombreux exemples à travers le Liban
Les variantes de ce modèle sont nombreuses et évoquent sa richesse à travers ses possibilités d’adaptation. Nous les retrouvons à Saint-Georges de Aqoura, Saint-Séba et Notre-Dame de Bcharré, Notre-Dame de Beit-Shbéb, Saint-Estéphane de Batroun, Saint-Elie d’Alep, Saint-Georges de Kormakitis (Chypre), Saints-Pierre-et-Paul de Qornet-Chehwén, Cœur-de-Jésus de Qornet-Hamra, Sainte Thècle de Bkessine et tant d’autres à travers le Liban.



La place de l’église
L’un des éléments essentiels de cette architecture, et dont les constructeurs contemporains ne se soucient plus, est la place. Aujourd’hui remplacée par des parkings devant la porte, cet espace faisait partie du rituel autant dans l’approche quotidienne que dans sa fonction de lieu de processions (ziyéh en syriaque). La place souligne autant la sacralité que la monumentalité de l’édifice et assure un lieu de socialisation.

Ces églises n’ont pas été remarquées, car elles se fondent dans notre paysage. L’architecte de l’époque savait s’effacer et nous épargner ses prouesses et sa virtuosité. C’est aussi en cela que cette église demeure fidèle à l’esprit du hayklo médiéval. C’est un trait essentiel de l’architecture maronite que de pouvoir renvoyer à une tradition ascétique qui se fonde sur l’humilité.

L’intérêt de ces églises maronites de type basilical est de ne laisser aucun doute sur leur fonction de lieu de culte et sur leur identité catholique et maronite. Leur concept soutenu et accompli, ainsi que leurs multiples variantes, peuvent ainsi constituer le modèle tant recherché pour l’élaboration d’une architecture sacrée maronite au Liban et dans la diaspora.

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