Le ministre des Finances, Youssef Khalil, refuse de signer le décret sur les nominations judiciaires partielles visant à combler le vide au niveau des présidences de plusieurs chambres près la Cour de cassation. De ce fait, le cours de la justice est entravé au niveau de certains dossiers, notamment l’enquête sur l’explosion du 4 août 2020 qui fait trembler plus d’un, et que le tandem chiite s’emploie à bloquer par tous les moyens. 

Plusieurs chambres près la Cour de cassation se trouvent, aujourd’hui, sans présidents. Ce vide est dû au fait que nombre d’entre eux ont pris leur retraite et n’ont toujours pas été remplacés. Un décret procédant à des nominations partielles pour combler ce vide devait normalement être cosigné par le ministre des Finances, Youssef Khalil, après l’avoir été par le ministre de la Justice, Henri Khoury. Or M. Khalil a souligné, dans un communiqué publié le 16 avril, qu’il a refusé de signer le décret en question en raison du fait qu’il comporte des "failles fondamentales".

Cette position est intervenue à la suite d’une manifestation organisée le jour-même devant la résidence du ministre et qui a été menée par des militantes du collectif "Noun", dont Nawal Meouchi. Interrogée par Ici Beyrouth, cette activiste au background juridique, a dénoncé le motif qu’aurait invoqué, d’après elle, M. Khalil pour justifier sa position. Le ministre des Finances estime que le décret en question est " contraire au pacte national ". " Le déséquilibre confessionnel n’est pas flagrant dans ces nominations, affirme Mme Meouchi. C’est une manœuvre dilatoire qui vient s’ajouter à tant d’autres dont nous avons été témoins ces derniers temps".

La procédure d’adoption des décrets

C’est dans ce contexte que le président Michel Aoun a déclaré dimanche à Bkerké, où il s’était rendu pour assister à la messe de Pâques, que les responsables à l’origine du blocage des nominations et de l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth sont connus, " ce sont ceux qui ont bloqué les réunions du Conseil des ministres ", dans une allusion à peine voilée au tandem chiite, pourtant son allié principal.

En tout état de cause, pour comprendre la procédure d’adoption des décrets, il serait utile de préciser qu’il existe deux sortes de décrets:

– Les décrets adoptés en Conseil des ministres (qui requièrent donc une décision préalable en Conseil des ministres), lesquels, d’après l’article 56 de la Constitution libanaise, sont considérés exécutoires de plein droit, même s’ils ne sont pas promulgués par la présidence de la République.

– Les décrets simples qui ne nécessitent pas au préalable une décision en Conseil des ministres. Selon l’article 54 de la Constitution, "les actes du président de la République doivent être contresignés par le chef du gouvernement et par le ou les ministres intéressés" (avec quelques exceptions). Tel est le cas du décret des nominations, qui devrait être signé par le ministre de la Justice, le ministre des Finances, le Premier ministre et le président de la République.

À la question de savoir pourquoi l’approbation du ministre des Finances est exigée dans un cas pareil, l’ancien ministre de l’Intérieur, Ziad Baroud, explique que ce décret comprend, in fine ou en filigrane, un aspect financier. "Généralement, précise-t-il, une grande majorité des décrets simples est contresignée par le ministre des Finances parce qu’ils concernent directement ou indirectement les finances de l’État. C’est la 3ᵉ signature, parfois sine qua none, au niveau de l’exécutif et nous pouvons ainsi comprendre pourquoi le mouvement chiite Amal tient tellement à s’approprier le ministère des Finances".

Un moyen de s’opposer à certaines décisions ou d’entraver une quelconque procédure ? D’après la Constitution, un ministre qui refuse de signer un décret exerce son droit. Or "cette compétence n’est pas absolue. Il s’agit d’une compétence dite ‘liée’, presque administrative. Le ministre est donc tenu de signer ce décret", relève Mme Meouchi. Des propos confirmés par M. Baroud qui souligne que l’Exécutif est censé donner suite aux décisions du Conseil supérieur de la magistrature si l’on considère que la justice est indépendante. "Pour revenir à l’abstention du ministre Khalil, il ne s’agit pas d’une réserve administrative, mais d’un motif hautement politique, souligne M. Baroud. Qui dit que la parité complète est exigible ?", s’étonne l’ancien ministre.

Actuellement, l’absence de présidents de chambres près la Cour de cassation a de multiples retombées et par conséquent, l’enquête sur l’explosion du port, notamment, est arrêtée. Il en est de même pour les actions intentées contre l’État depuis la crise financière qui ne fait que plonger le pays dans l’abîme depuis, au moins, octobre 2019.