La constante des choix électoraux de l’ancien Premier ministre Fouad Siniora est "la coordination avec le Parti socialiste progressiste et les Forces libanaises". 

C’est par sa défense pacifique de la souveraineté de l’État, que l’ancien Premier ministre Fouad Siniora œuvre à mobiliser l’électorat sunnite après le désengagement politique de Saad Hariri. Il prend soin de ne pas intervenir là où les anciens partisans du Courant du Futur ont pu prendre la relève, comme dans le Akkar. Dans une rencontre avec la rédaction d’Ici Beyrouth, il dit ainsi être actif dans sept circonscriptions électorales: En plus de Beyrouth II, Tripoli et Saïda, où l’électorat sunnite est majoritaire, le Chouf et les trois circonscriptions de la Békaa (Baalbeck-Hermel, Békaa-Ouest-Rachaya, Zahlé).

La constante de ses choix électoraux est "la coordination avec le Parti socialiste progressiste et les Forces libanaises", explique-t-il.

Même si cette alliance n’est pas observée partout et qu’il arrive que des choix se portent sur des candidats "gris", cela serait dû soit aux "circonstances de la région qui ne permettent pas de former des listes communes", comme à Tripoli ou dans la Békaa-Ouest-Rachaya, soit au "manque de temps", comme à Baalbeck-Hermel, où les efforts de former une liste d’opposition unifiée ont échoué. Il faut donc prendre en compte les circonstances de chaque région et ses normes, dit-il, tout en se félicitant de son alliance avec les FL à Zahlé, à Baalbeck-Hermel et à Saïda, ainsi qu’avec le leader druze, Walid Joumblatt dans le Chouf.

S’il reconnaît que "des compromis partiels, mais pas au prix des principes" ont été faits, il précise que "la spécificité de la liste de Beyrouth II est de ne pas être grise". Elle est "l’exemple, le modèle qui me ressemble". La liste formée à Tripoli sous la présidence de Moustafa Allouche s’en rapproche aussi.

Et si la bataille stratégique contre le Hezbollah s’exprime le plus clairement pour chacun dans son bastion plus qu’ailleurs – cela vaut autant pour les FL, le PSP que pour Siniora – ce serait en grande partie dû à "la loi électorale injuste, faite sur mesure pour favoriser le Hezbollah et le Courant patriotique libre (CPL), et qui a attisé les tensions communautaires".

L’enjeu de tisser une alliance contre le Hezbollah

Mais il ne faut pas que ces zones grises fassent perdre de vue "la bataille claire engagée contre le Hezbollah dans le pays". Les candidats soutenus partout par Fouad Siniora font partie de la ligne souverainiste laquelle "inclut de nombreuses parties avec lesquelles nous sommes sur la même longueur d’onde, que ce soit les FL, les Kataëb, le PSP ou des indépendants". C’est avec celles-ci que devrait se constituer, au sein du prochain cabinet, un levier important face au Hezbollah et à leurs alliés.

Même si l’ancien Premier ministre s’abstient de spéculer sur la taille de ce groupe d’opposition, il confirme la lecture selon laquelle la polarisation 8 Mars/14 Mars se redessine. "Le Liban a-t-il jamais vu depuis 1982, date de la création du Hezbollah, autant d’audace et de critique contre le Hezbollah qu’aujourd’hui? Le Liban a-t-il vu depuis 1987, avec l’émergence du général Michel Aoun, autant d’attaques contre ce dernier qu’il y en a aujourd’hui?", dit-il, faisant observer "un changement certain dans l’environnement libanais".

Contre la démobilisation sunnite

C’est dans ce contexte que Fouad Siniora s’attelle à mobiliser presque un à un les électeurs, notamment sunnites, en les recentrant autour des valeurs souverainistes, mais sans se faire d’illusion sur une unité de décision au sein de la communauté sunnite, ni ailleurs. Il dit parvenir à briser petit à petit l’abattement de la rue sunnite, aggravé par le retrait de la vie politique de l’ancien Premier ministre et chef du courant du Futur Saad Hariri.

"Quand j’ai pris l’initiative de tenir une conférence de presse le 23 février dernier (exhortant les sunnites à prendre part au scrutin, ndlr), il n’y avait personne à mes côtés. Mais un changement graduel commence à s’opérer, un regain d’intérêt chez les sunnites et les Libanais. C’est un progrès que j’observe tous les jours", dit-il. Parmi les arguments pour les convaincre de voter, celui de les inviter à imaginer l’après-16 mai. "Ne boudez pas le 15 mai pour ne pas bouder après", a-t-il pris l’habitude de lancer aux électeurs.

Les "plus royalistes que le roi"

Il précise du reste que si Saad Hariri s’est retiré, "il n’a en revanche pas donné de consigne d’abstention de vote". "Certains sont plus royalistes que le roi et font dire à Saad Hariri ce qu’il n’a pas dit. Mais leur effet va en s’amenuisant", ajoute-t-il.

À une question sur sa relation avec Saad Hariri, il répond que ce dernier "est un leader libanais qui a sa place et son statut. Lorsqu’il décidera de revenir au Liban, sa place et son statut seront préservés". En attendant, Fouad Siniora continue de se réunir régulièrement avec le Premier ministre Nagib Mikati et l’ancien Premier ministre Tammam Salam, dans le prolongement des réunions entre anciens chefs de gouvernement auxquelles prenait part Saad Hariri.

Retour insuffisant des pays du Golfe

Autre argument contre la démobilisation sunnite, celui de devoir se mettre en avant pour se faire entendre. "Nous, Libanais, n’apparaissons pas sur le radar du monde arabe, ni du monde en général", constate-t-il. "Et ceux qui pensent que le monde viendra à nouveau exprimer son amour pour le Liban après un temps de répit se trompent", poursuit l’ancien Premier ministre.

Le retour des pays du Golfe est certes "positif et dans l’intérêt du Liban et des pays arabes".  Il en va même de "la sécurité arabe (qui) a besoin de ramener les Arabes vers le Liban", relève-t-il encore, en estimant que ce retour reste "insuffisant" sans une action de la part des Libanais pour l’accompagner.

Une action qui, selon M. Siniora, devrait s’articuler autour de quatre éléments qui manquent au pays: la vision, la volonté, le leadership et le courage. Et qui tablerait sur "les réformes économiques, financières et monétaires pour sortir le Liban de la crise, parallèlement à la reprise de l’État des mains du mini-État qui en a sabordé le système économique et politique".

Dépasser Doha

Concrètement, cela se traduirait par "un retour à un régime démocratique juste", c’est-à-dire où la majorité gouverne, la minorité s’oppose et le Parlement contrôle, explique-t-il en substance.

Ce régime a été "dénaturé par la démocratie consensuelle" retenue dans le cadre de l’accord de Doha en 2009, si bien que le Cabinet est devenu "un lieu de querelles et de polémiques", livré aux veto des uns et des autres, ou au boycottage par une partie, comme si le Parlement se transposait au niveau de l’Exécutif. Mais l’accord de Doha serait voué à être dépassé, selon Fouad Siniora, d’abord parce que n’ayant pas valeur constitutionnelle, ensuite parce qu’il n’a pas été respecté par le Hezbollah, partie à l’accord, lorsqu’il avait forcé ses ministres à la démission du Cabinet Hariri en 2011.

Fouad Siniora préconise également, comme principe du parlementarisme, "un pouvoir judiciaire indépendant et intègre" qui, selon lui, peut se consolider avec les lois existantes. Il défend aussi la formation d’une "administration non subordonnée" au pouvoir politique.

Le risque d’une guerre entre Libanais

"Le pays a besoin de revenir au respect de la Constitution" à l’heure où les alliés du Hezbollah, comme le CPL, évoquent une révision du système au titre des enjeux des législatives. "Je suis contre toute assemblée constituante, c’est une recette pour ouvrir de nouvelles guerres entre Libanais", répond M. Siniora. Même si le texte de Taëf est par définition propice à être revu, ce n’est pas dans les conditions actuelles où une partie détient des armes face aux autres qu’il devrait l’être. "La solution reste par le travail démocratique pacifique, pas les armes", insiste-t-il. Un travail sans coût mais très rentable, comme celui par exemple de "réajuster nos relations avec les pays arabes". Et dans ce cadre, pour ce qui est du citoyen, "voter équivaudra à dire qu’il veut l’État", conclut Fouad Siniora.