Le premier style parmi les fresques syriaques du Liban, présente des visages stéréotypés et des corps bidimensionnels en position frontale. Dépourvus d’ombres, les plis des vêtements sont exprimés schématiquement par de simples traits foncés. Les visages ne se différencient que par la couleur des cheveux et les formes des barbes. L’expression du sentiment est suggérée par une attitude corporelle telle qu’une main portée au visage en signe de détresse. Ce premier style fut introduit par les églises de Saint-Charbel à Maad et de Saint-Théodore à Béhdidét. Le second type artistique que nous allons rencontrer ici est plus mouvementé, réaliste et expressif. Il nous est offert par les églises de Saint-Saba à Eddé-Batroun et de Saints-Serge-et-Bacchus à Kaftoun.

Saint-Saba de Eddé-Batroun

L’église de Saint-Saba de Eddé au pays de Batroun est parsemée de plusieurs fragments de fresques. Parmi ces vestiges, les témoignages les plus récents remontent à l’an 1261. L’une de ces fresques rappelle celle de Saint-Charbel de Maad puisqu’il s’agit de la Dormition de la Sainte Vierge. Leurs compositions sont identiques et leur comparaison est fort intéressante. Les personnages prennent les mêmes dispositions conformément à la tradition iconographique et aux canons artistiques chrétiens. Cependant, dans le détail, les différences sont bien marquées. Il y a plus de mouvement à Saint-Saba. Des ombres rendent la scène plus réaliste et expressive. C’est là que nous constatons une influence byzantine plus marquée.

Les nimbes contiennent encore les noms en syriaque vertical, mais les visages sont personnalisés. Ils ne se réduisent plus à un dessin au trait rempli d’aplats monochromes à la manière du premier style observé à Saint-Théodore. Ici, les ombres soulignent les volumes, la lumière et le mouvement. La tristesse se lit dans les regards de Dionysios (Denys) et de Yaacouv (Jacques). Chaque personnage de cette fresque et de la scène voisine de la crucifixion est identifiable par ses traits et non seulement par la couleur des cheveux ou la forme de la barbe. Dans cette même église cependant, la fresque de la Vierge à l’enfant, présente des visages stéréotypés, au trait, avec des remplissages monochromes. Elle est donc d’une autre époque et appartient à la même école que les exemples de Behdidét et de Maad, offrant en cela une juxtaposition des deux styles. Nous relevons également une juxtaposition des deux langues, puisque cette fresque fait appel à des inscriptions grecques.

Saints-Serge-et-Bacchus de Kaftoun

Ce style syriaque, doté d’une vivacité et d’une harmonie à la grecque, se retrouve pareillement au monastère des Saints-Serge-et-Bacchus à Kaftoun. Le site, aujourd’hui grec-orthodoxe, avait été également occupé par les maronites qui y laissèrent leurs traces. Nous y trouvons des fresques pourvues d’inscriptions grecques et d’autres à inscriptions syriaques en caractères estranguélo (majuscule) surmontant leurs nimbes. Yaacouv (Jacques), Philipos et Marcos y retrouvent les traits stylisés et les sourcils imposants de Béhdidet et de Maad, mais avec des ombres qui leur confèrent un certain volume. Ils dérogent également à la règle de la frontalité absolue en dirigeant leur regard sur le côté, suggérant la présence d’un espace propre à la scène. Les plis de leurs vêtements reprennent aussi les techniques d’ombre et de lumière des icônes byzantines, alors qu’à Béhdidét et à Maad cela se réduit à la présence de simples lignes droites ou sinueuses.

Les fresques de Syrie-Mésopotamie

À comparer les fresques du Liban avec celles d’autres régions syriaques médiévales de Syrie-Mésopotamie, nous constatons des différences appréciables. Dans le Nebeck syrien et jusqu’au Tour Abdin du sud-est turc, la stylisation linéaire qui caractérise certaines peintures murales du Liban devient plus prononcée, voire même anguleuse. Les proportions s’éloignent de la réalité et de l’harmonie grecque engendrant des corps parfois atrophiés. Le regard fixant et intemporel sombre encore plus dans l’hiératisme de l’antiquité orientale. Ce phénomène visible dans les nombreux manuscrits étudiés par Jules Leroy prend de plus en plus d’ampleur dans les confins orientaux. Alors que les régions occidentales comme le Liban demeurent attachées à l’esprit artistique byzantin, les alentours de Ninive en Mésopotamie dénotent des influences perses, arabes et mongoles dans un style archaïsant où prédomine le graphisme.

Le style libanais

Le Liban des Francs est une terre méditerranéenne tournée vers l’Europe. Il se caractérise par une ouverture sur le monde artistique byzantin. Une noblesse latine et un terroir syriaque continuent d’affectionner l’art chrétien incarné par la tradition grecque. C’est probablement à cette époque que se constituent le caractère libanais et sa personnalité, autant dans son idiome syriaque imprégné d’apports francs que dans son art, sa culture et sa sensibilité occidentale. Les fresques médiévales du Liban sont le reflet de cette synthèse culturelle. Elles forment l’expression d’une tradition particulière, qui ne peut être ni considérée comme un art byzantin, ni assimilée à l’art syriaque plus général de Syrie-Mésopotamie. Il s’agit d’un art syriaque proprement libanais qui a connu la prospérité et la culture des États latins, ainsi que l’héritage artistique byzantin et les influences de sa version chypriote.

Ces fresques sont l’expression de la culture de cette époque où les Libanais maronites, jacobites et melkites prospèrent à l’ombre des régimes féodaux francs. Ils vivent dans les mêmes villages et forment la même armée. Ils mélangent leurs cuisines, leurs tenues vestimentaires, leurs armements et leurs techniques de construction. Les maronites bâtissent leurs églises avec les Francs et composent leurs manuscrits avec les Jacobites. Avec les Grecs, ils peignent leurs fresques et perpétuent tout au long du Moyen Âge, les canons artistiques de la tradition byzantine.