En dépit d’un désengagement sunnite important et d’une forte démobilisation populaire (le taux de participation aux législatives libanaises du 15 mai 2022 est de 41,04%), heureusement compensée par le vote d’une diaspora dynamique, les résultats des législatives de 2022 ont incontestablement reflété le changement intervenu dans l’esprit des Libanais, particulièrement au niveau de leurs rapports avec les différentes composantes de la classe politique.

Plusieurs réflexions se dégagent du scrutin dont les résultats préliminaires ont constitué un camouflet pour les forces au pouvoir, et qui a induit un bouleversement incontestable au niveau de la représentation populaire, indépendamment du calcul des quotients électoraux qui les déterminent. D’abord, parce que les Libanais ont réussi à faire sauter des verrous qui paraissaient jusque-là indéboulonnables. Ensuite, parce qu’ils ont confirmé, en dépit de toutes les tentatives menées manu militari par le Hezbollah pour dénaturer le vote, une orientation populaire contestataire, ciblant particulièrement les partis et les formations qui se croyaient indétrônables.

Cette orientation s’est manifestée à deux niveaux : lorsqu’elle a révélé une adhésion à l’option souverainiste face au camp constitué par le CPL du président Michel Aoun et le tandem Amal-Hezbollah, lequel a laissé des plumes dans la bataille électorale, et lorsqu’elle a témoigné d’un soutien consistant aux figures issues de la contestation du 17 octobre 2019.

Un des traits marquants du scrutin, est ainsi la chute retentissante de symboles de l’axe entretenu depuis Taëf (1989) par la Syrie puis par Téhéran au Liban. Députés depuis 1992, Assaad Hardane (grec-orthodoxe-Sud III) et Talal Arslan, (druze-Aley) – tous deux symboles des relations étroites avec le régime Assad – ne feront pas partie du Parlement de 2022. Les deux ont été battus par des figures de la société civile. Parallèlement, le CPL et Amal ont été boutés de Saïda-Jezzine (Sud I) qui devrait être représentée au Parlement notamment par les Forces libanaises et Oussama Saad, lequel avait pris ses distances du Hezbollah en s’associant au soulèvement du 19 octobre 2019.

À quelques mois de la fin d’un sexennat " imposé aux Libanais ", selon les propos tenus par le patriarche maronite, Béchara Raï, vendredi dernier, deux jours avant les élections, la majorité chrétienne a exprimé dans les urnes son opposition au camp présidentiel dont une partie des députés a été élue grâce notamment aux voix chiites. En face, les Forces libanaises ont bénéficié de la majorité des voix chrétiennes et d’une partie de celles des sunnites qui n’ont pas voulu se conformer au mot d’ordre de boycottage du chef du Courant du futur, Saad Hariri.

L’élection pour la première fois, d’un député maronite FL à Tripoli, Elias Khoury, où des figures traditionnelles, comme Fayçal Karamé, relevant de l’axe de la Moumanaa, n’ont pas pu maintenir leurs sièges, le renversement de situation à Jezzine et l’importance du bloc parlementaire FL (entre 20 et 23 députés selon les résultats préliminaires) que le parti de Samir Geagea a réussi à constituer face à celui, en régression, du CPL, témoigne de l’appétence des Libanais, et notamment des chrétiens, pour un retour aux fondements étatiques démocratiques, hypothéqués par le Hezbollah, à qui le camp aouniste assure une couverture chrétienne.

Or les résultats préliminaires du scrutin, s’ils se confirment mettent à mal cette légitimité que le CPL et le camp présidentiel en général accorde au Hezbollah et à ses armes. Une mise à mal aggravée par la perte par Nabih Berry, depuis 1992, de trois sièges chrétiens, à Jezzine, dans la Békaa-Ouest et à Marjeyoun-Hasbaya.

L’ensemble de ces considérations reflète, en n’en point douter, le rejet par l’écrasante majorité des Libanais, du mini-État en faveur du camp souverainiste et du changement.