Mercredi, la guerre des communiqués entre le chef du gouvernement Najib Mikati et le ministre de l’Énergie Walid Fayad semblait s’être tassée. En fait, tout avait été dit, lundi et mardi, lorsque par communiqués interposés, la présidence du Conseil et le ministère de l’Énergie se sont écharpés autour des motivations du retrait de l’ordre du jour de la dernière réunion du Conseil des ministres, vendredi, de deux articles se rapportant à des offres internationales pour le développement de la production du courant électrique.

Ce qui intéresse et qui interpelle en même temps dans la polémique inédite entre un chef du gouvernement et son ministre n’est ni le ton ou la terminologie employés, ni les arguments développés par l’un et par l’autre, mais ce que celle-ci cache.

La querelle transcende effectivement le volet technique du dossier de la crise de l’électrique au Liban, qui devient ainsi un élément constitutif du rapport de forces naissant après les élections législatives. Sorti relativement perdant de ce scrutin dont les résultats impactent immanquablement le reste des échéances avec lesquelles le Liban a rendez-vous dans les mois à venir, le Courant patriotique libre (CPL) dont Walid Fayad est proche, joue le tout pour le tout afin de s’imposer comme LE principal acteur politique au niveau des processus constitutionnels à venir : la désignation d’un nouveau Premier ministre, la formation du gouvernement et, plus tard, le choix de la personnalité qui remplacera le président Michel Aoun à la tête de l’Etat, à l’expiration du mandat de ce dernier en octobre prochain.

L’affaire des dossiers de l’électricité à l’ordre du jour du Conseil des ministres n’est qu’une des manches de la bataille dans laquelle le CPL, et plus précisément son chef Gebran Bassil, s’est engagé depuis l’annonce des résultats des élections. Cette bataille a été officiellement lancée à la faveur du discours incendiaire que ce dernier a prononcé lors du meeting affublé de la très pompeuse appellation : " festival de la victoire ", organisé samedi par son parti au Beirut seaside Arena, non loin du centre-ville de la capitale libanaise. Une appellation censée de toute évidence compenser les résultats des élections du 15 mai dont le CPL est sorti avec un nombre de voix chrétiennes nettement inférieur à celui obtenu par son adversaire direct, les Forces libanaises de Samir Geagea, et un nombre de députés également inférieur à celui des FL mais aussi à celui qui constituait son bloc parlementaire en 2018.

Reconnaître ce recul reviendrait pour Gebran Bassil à admettre qu’il n’a plus la main haute sur le plan politique, alors que les prochaines échéances constitutionnelles engagent pratiquement le sort du pays. À un niveau plus prosaïque, elles peuvent être déterminantes pour l’avenir personnel de son chef.

La bataille dans laquelle ce dernier est engagé depuis le 15 mai est menée sur plusieurs axes dans lesquels l’intérêt personnel partisan prime. L’un d’eux consiste à se réapproprier des sièges parlementaires supplémentaires, à travers des recours en invalidation de résultats des élections qu’il compte présenter auprès du Conseil constitutionnel.

Les autres sont essentiellement politiques et visent principalement les leaderships chrétien et sunnite. Confiant du soutien que lui accorde le Hezbollah qui lui a servi de tremplin pour hisser à la Chambre une partie des députés de son bloc, le chef du CPL a dans sa ligne de mire trois personnalités : Samir Geagea qui lui dispute le leadership chrétien, Najib Mikati qui, en sa qualité de chef du gouvernement, s’était opposé à des projets soutenus par le camp présidentiel dont fait partie le CPL (notamment le limogeage du gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, ainsi que les trains de nominations et de permutations administratives, judiciaires, diplomatiques et sécuritaires qui auraient consolidé la présence aouniste dans ces secteurs) et Nabih Berry avec qui les rapports n’ont pas cessé de se détériorer au cours des dernières années.

C’est dans ce contexte précis qu’il faut situer la guerre des communiqués entre Najib Mikati et Walid Fayad. Il s’agit de la querelle politique la plus récente, menée par le CPL simultanément avec celle de la présidence et de la vice-présidence de la Chambre.

L’insistance du Sérail à épingler le ministre de l’Énergie sur la gestion de son département et les " contradictions " dans son comportement avec Najib Mikati n’était pas innocente et n’avait rien d’un jugement ou d’une critique. Dans ses deux communiqués-réponses de lundi et de mardi aux critiques du ministère de l’Énergie, la présidence du Conseil a indirectement placé la querelle autour du dossier de l’électricité dans son contexte réel, en déchargeant pratiquement Walid Fayad de toute responsabilité, à coups d’insinuations on ne peut plus claires sur l’implication directe du camp présidentiel dans cette polémique. Car bien qu’émanant officiellement du " bureau de presse du ministre de l’Energie, Walid Fayad ", ce dernier, a appris Ici Beyrouth, est pour ainsi dire étranger au contenu des deux communiqués, qui auraient été élaborés et rendus publics au nom de M. Fayad par des proches de Gebran Bassil. L’objectif de cette manœuvre serait d’entretenir un climat qui justifierait, le moment venu, une opposition à un retour de Najib Mikati à la tête du cabinet et de défendre en même temps la gestion du dossier de l’électricité par le camp présidentiel.

L’idée d’un renflouement du gouvernement d’expédition des affaires courantes –pour faire vite, alors que le pays s’enfonce dans la crise, et éviter de s’enliser dans les méandres des consultations constitutionnelles précédant la mise en place d’une nouvelle équipe ministérielle –  est évoquée aujourd’hui parmi plusieurs autres. Celles-ci reflètent jusque-là la conception que se font du gouvernement les différentes composantes de la nouvelle Chambre et font craindre le moment venu, des blocages. Un gouvernement de technocrates, d’union nationale ou une équipe reflétant les résultats des élections ? D’aucuns estiment qu’il est prématuré de s’avancer sur ce terrain, mais le CPL ne semble pas de cet avis. Sa campagne contre Najib Mikati, qui bénéficie d’un soutien des puissances étrangères concernées par le dossier libanais, risque de se poursuivre en attendant que commencent les consultations parlementaires contraignantes pour la désignation d’un nouveau Premier ministre.