Depuis début 2021, la société française Recygroup réfléchit à la meilleure manière de récupérer et réutiliser les déchets de l’explosion du 4 août, entreposés au port de Beyrouth. Deux contrats ont été signés avec les autorités libanaises, un premier concernant les métaux et autres matériaux, un second pour les grains des silos.

L’odeur est désagréable pour celui qui n’y est pas habitué. Un mélange équilibré entre décomposition et excréments. De quoi en rebuter plus d’un de travailler dans de telles conditions. Pourtant, la déchetterie de la ville de Zahlé a choisi de s’occuper de cette matière qui, malgré son aspect, pourrait bien être qualifiée de nouvel "or marron".

"En plus de trier le plastique, les métaux et autres verres, nous disposons de 5 lignes de compost, qui fermente à une température située entre 45 et 50°C, et qui est retourné chaque semaine", explique à Ici Beyrouth Saïd Gedeon, conseiller municipal à Zahlé. "Il permet la production d’engrais organique, qui améliore la qualité des sols et est complémentaire de son équivalent minéral", poursuit-il. Un produit intéressant pour les agriculteurs de la région, à qui il est revendu.

Des grains du port dans le compost

Ce compost est bien particulier. En plus du fumier, il se compose à environ 50% de grains céréaliers issus des silos du port de Beyrouth, qui pourrissaient dans la zone depuis l’explosion du 4 août 2020. Sur les presque 6.000 tonnes qui s’y trouvaient, environ la moitié a été acheminée à Zahlé pour y être transformée.

"Nous cherchions un site bétonné pour pouvoir traiter ce type de déchets, raconte Robin Cres, chef de projet chez Recygroup. On souhaitait le faire directement au port, mais les autorités voulaient débarrasser la zone. Un de nos partenaires travaillait avec la déchetterie de Zahlé. Le site possédait les équipements nécessaires pour le projet, nous avons donc décidé de travailler avec eux."

Basée dans les environs de Lille, cette société française, spécialisée dans la valorisation des déchets, a signé en mai 2021 un contrat avec les autorités libanaises pour la récupération et la réutilisation des grains du port de Beyrouth. D’un montant de 1,3 million d’euros, entièrement financé par la France, il s’est conclu en avril 2022.

Convaincre de l’intérêt de la démarche

Au début de l’été 2021, Recygroup commence par rassembler le grain et le fait passer dans des appareils de criblage, afin d’en retirer le maximum de pierres et autres matières rocheuses qui s’y étaient mélangées lors de l’explosion. Le tout est disposé en ligne dans l’enceinte même du port, où des analyses sont effectuées afin de garantir une absence de toxicité. Mais le temps presse. À cause de la chaleur, une partie du grain commence à prendre feu. Il faut trouver qu’en faire et où l’envoyer.

De premiers contacts avec la municipalité de Zahlé sont établis en août 2021. Dans un Liban qui ne jure que par les intrants chimiques pour son agriculture, il faut d’abord réussir à convaincre de l’utilité de la démarche. "Le potentiel impact positif pour la région est important, estime Robin Cres. Produire ce compost ne coûte presque rien et est bénéfique pour les agriculteurs. De plus, les déchets issus de leurs activités peuvent servir pour refaire du compost."

Les premiers camions de grains arrivent à la déchetterie de Zahlé vers la mi-octobre 2021. À raison de 18 à 25 tonnes transportées par véhicules, les livraisons des quelque 3.000 tonnes totales se terminent début 2022. La production du compost aura, en plus des agriculteurs, bénéficié à la municipalité. L’argent de la vente a notamment permis l’achat d’une chaudière collective pour la ville.

Des granulés avec du grain

Les 3.000 autres tonnes de grains sont ailleurs. Environ la moitié, soit quelque 1.500 tonnes, ont été envoyées dans les montagnes à l’est de Beyrouth, dans la municipalité de Hammana. Là-bas, l’entreprise Caesar’s Flame et sa dizaine d’employés les transforment en combustibles pour chaudières. "Comme à Zahlé, ils étaient peu convaincus au départ, raconte Robin Cres. Il a fallu leur montrer, analyses à l’appui, l’absence de danger à brûler ce genre de matériaux et leur apport calorifique."

Le pari est réussi. "Avec 30% de graines et 70% de matières provenant de pins, nous obtenons un mélange de très bonne qualité", se félicite le patron de Caesar’s Flame. "Combinés aux chaudières que nous fabriquons, les granulés peuvent permettre jusqu’à 80% d’économie par rapport aux chaudières classiques au diesel. Pour chauffer pendant un an, il faut cependant 10 tonnes de granulés, contre 5 tonnes de fuel. Mais les premiers coûtent entre 60 et 70% moins cher que les seconds."

Selon ses estimations, l’entreprise devrait pouvoir produire entre 4.000 et 5.000 tonnes de combustibles grâce au grain. Seule contrepartie demandée par le gouvernement libanais et Recygroup: Caesar’s Flame doit fournir gratuitement une partie des granulés (environ 30%) et quelques chaudières à l’armée.

Une alternative au diesel

Les dernières 1.500 tonnes ont été envoyées chez Prima Verde, une société basée dans les alentours de Batroun. Les mêmes conditions lui ont été demandées: fournir une partie de sa production à l’armée. Dans son entrepôt à ciel ouvert installé sur un flanc de colline, l’entreprise libanaise mélange les grains à des déchets d’olives et à tout type de poussières d’arbres. "Nous fabriquons un minimum de 4 à 5 tonnes de granulés par jour", détaille son patron Élie Ighnatios.

Avec ce projet, Recygroup espère montrer qu’il est possible de faire différemment au Liban. "Nous créons de la valeur à partir de produits qui, justement, ne valent rien, voire sont gênants, estime Benjamin Constant, co-fondateur de Recygroup. Compte tenu de la crise énergétique que subit le pays, c’est intéressant de proposer une alternative avec les granulés. Chaque année, environ 100.000 dollars de fertilisants sont importés. Produire un compost local de qualité est à la fois écologiquement et économiquement bénéfique, vu la pénurie de dollars actuelle."

Un premier contrat dès janvier 2021

Avant même de s’occuper du grain, la société française a signé en janvier 2021 un premier contrat pour la gestion et la valorisation de tous les autres déchets produits par l’explosion du 4 août et entreposés dans le port. D’un montant de 820.000 euros, toujours financé par la France, il s’est terminé en novembre 2021.

Ce contrat ne s’est pas composé d’une partie opérationnelle, Recygroup ayant seulement apporté son expertise et ses conseils dans un rapport à destination des autorités libanaises. "L’idée était de proposer des alternatives à l’enfouissement total en créant des boucles d’économies circulaires, explique Benjamin Constant. Comment trier et valoriser les déchets dans des conditions de sécurité acceptables, quels moyens mettre en place pour dépolluer le site, etc… "

Éviter les bulldozers

En premier lieu, Recygroup a caractérisé et quantifié. Il a ainsi été déterminé qu’il se trouvait environ 50.000 mètres cubes de "déchets en mélange" (la fameuse "montagne de déchets", composée de matières en décomposition, parfois toxiques, visible depuis l’autoroute), entre 12.000 et 15.000 tonnes de métaux, entre 700 et 1.000 carcasses de véhicules et environ 60.000 tonnes de minéraux.

Le Français a ensuite réfléchi à la meilleure manière de s’en débarrasser tout en s’en servant. Les métaux et minéraux peuvent être vendus à des sociétés de recyclage, qui elles même vendront les produits transformés à des compagnies de travaux privés ou publics. Ces dernières s’en serviront et pourront, à terme, faire recycler les déchets produits. D’où la logique d’économie circulaire.

"Au Liban comme partout ailleurs, il est possible de valoriser une partie des déchets au lieu de tout déblayer à coup de bulldozers, conclut Benjamin Constant. Nous avons œuvré à la production d’un rapport le plus complet possible. La balle est désormais dans le camp des autorités libanaises. Elles doivent se mettre d’accord pour déterminer quoi faire et trouver les financements nécessaires."

 

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