Le Conseil constitutionnel ne pourra pas annoncer les résultats de ses concertations sur les recours en invalidation des élections de 2022 avant au moins cinq mois, explique le constitutionnaliste Saïd Malek.

Six recours en invalidation des résultats des élections législatives du 15 mai 2022 ont été déposés auprès du Conseil constitutionnel, 24 heures avant l’expiration du délai fixé par la Constitution à cet effet.

Parmi ces six recours, figure celui d’Élie Charbachi, candidat malheureux sur la liste des Forces libanaises à Beyrouth I, qui a présenté mardi un recours en invalidation des résultats de l’élection de Cynthia Zarazir, élue au siège parlementaire réservé aux minorités chrétiennes dans cette circonscription. Élie Charbachi avait recueilli 727 voix contre 486 pour Cynthia Zarazir. La liste des FL avait obtenu un coefficient électoral de 2,398 contre 1,499 pour celle de la contestation sur laquelle figurait Cynthia Zarazir. Cette dernière avait donc remporté le dernier siège puisque le reste de la division de sa liste est plus élevé que celui des FL, soit une différence de 557 voix. Les FL pourraient cependant " déposer jeudi d’autres recours en invalidation des résultats de l’élection de certains candidats, notamment au Kesrouan (Mont-Liban I), au Akkar (Nord I) et à Baalbeck-Hermel (Békaa III) ", confie une source proche de Meerab à Ici Beyrouth, mais sans vouloir donner davantage de précisions à ce sujet.

L’ancien député proche du 8 Mars Fayçal Karamé a aussi saisi le Conseil constitutionnel pour contester l’élection de trois députés de la circonscription Nord II (Tripoli–Minié–Denniyé), Ihab Mohammad Matar (siège sunnite), Firas Ahmed al-Salloum (siège alaouite) et Rami Saadallah Fanj (siège sunnite). L’avocat de M. Karamé, Wadih Akl, avait déclaré une fois la formalité déposée: " Si le Conseil constitutionnel se réunit pour statuer sur les recours, moins de cinquante voix dépouillées suffiront pour annoncer la victoire de Fayçal Karamé ".

Un autre candidat malheureux proche du Courant patriotique libre, Haïdar Issa, qui était en lice dans le Akkar (Nord I), aurait également présenté un recours pour contester le résultat lié au siège alaouite de la circonscription, remporté par Ahmad Rustom, élu proche du Courant du Futur, selon une source informée du parti aouniste.

Le sixième recours demeure pour le moment méconnu. Il n’est pas clair s’il sera issu du CPL ou d’un autre regroupement politique. On en saura davantage demain jeudi, avec l’expiration du délai constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel, formé de dix magistrats (cinq élus par le Parlement et cinq nommés par le Conseil des ministres), a besoin d’un quorum de huit membres pour tenir une réunion. Ses décisions sont prises à la majorité de sept voix. Il y a lieu de préciser cependant qu’il ne pourra pas annoncer les résultats de ses concertations au sujet des recours présentés " avant au moins cinq mois ", explique le constitutionnaliste Saïd Malek. " Pour les élections de mai 2018, il a fallu plus de neuf mois après la tenue des élections pour que le Conseil constitutionnel puisse rendre un jugement. En ce qui concerne les législatives de 2022, les résultats seraient annoncés en fin d’année ou au début de l’année prochaine ", a-t-il estimé.

Un enjeu de taille s’ajoute aux considérations précitées: les tendances politiques des membres qui forment le Conseil constitutionnel. En effet, au moins cinq magistrats sont proches du CPL (dont le président de l’instance, Tannous Mechleb) ou du tandem Amal–Hezbollah. Une configuration qui constitue un véritable défi pour les juges qui doivent prendre une décision à la majorité de sept voix sans se laisser influencer par les forces politiques directement concernées par ces recours. On se souvient dans ce contexte de l’épisode dantesque du recours présenté en novembre 2021 par le CPL pour invalider les amendements de la loi électorale et des accusations politiques qui l’ont marqué. L’instance juridique avait été dans l’incapacité de se prononcer sur le recours en invalidation des amendements de la loi électorale qui lui a été présenté, à cause d’un défaut de quorum principalement lié à une affaire de manœuvres politiques. À l’époque, le chef du parti aouniste Gebran Bassil avait ouvertement accusé le tandem chiite d’être le responsable principal de cet échec, alimentant ainsi toutes sortes d’analyses sur l’avenir de ses relations avec son principal allié chiite, le Hezbollah.

Il avait accusé les deux formations chiites de s’être immiscées dans le cours des délibérations du Conseil constitutionnel. M. Bassil était même allé jusqu’à dire explicitement “ce qui s’est produit est le fruit d’un accord politique de la part d’un establishment à la tête duquel figurait le binôme chiite Amal-Hezbollah ".

À titre de rappel, le recours du parti orange consistait à invalider l’article reportant à 2026 l’établissement de mégacentres, des bureaux de vote géants qui permettraient aux électeurs des régions éloignées d’élire leurs députés à partir de leur lieu de résidence. Il s’est avéré que cette réforme était quasi impossible à appliquer à quelques mois des élections sur les plans logistique et financier et risquait d’entraîner un report du scrutin.

Ce scénario risque de se reproduire avec les recours en invalidation des résultats des élections, si le camp aouniste ou le tandem chiite parviennent à influencer les décisions des magistrats proches de leur ligne politique.