Les femmes offrant leur corps nu au soleil, pouvaient voir la rue sans trop s’exposer elles-mêmes. Elles pouvaient prendre cette architecture pour vêtement, endosser ses arcades et y épouser la pierre, l’air et la lumière.
La découverte d’un tableau de l’artiste Claire Sounounou nous emporte dans les ruelles, les quartiers et les labyrinthes de Beyrouth lorsque cette ville foisonnait de vie sous l’impulsion de son architecture et de son histoire. Nous voilà debout sur le palier d’un escalier tellement typique de ces bâtiments traditionnels dont il reste encore aujourd’hui quelques témoins entre les rues Gouraud et d’Arménie, autour des quartiers de Mar Mikhaël et de Monnot. Claire Sounounou avait choisi, elle, pour sa toile, le quartier de la prostitution, près de la place des Canons. Elle nous y projette, nous faisant découvrir les filles de joie allongées sur le palier, complètement dévêtues, malgré le dégagement visuel sur la voie publique. Et pourtant, il ne s’agissait pas d’une vue de l’esprit de l’artiste, mais d’une scène bien réelle de la vie dans cette ville méditerranéenne.
L’architecture à Beyrouth s’était inventée une série de nuances spatiales qui se glissaient subtilement entre les concepts du dehors et du dedans. Elle ne pouvait se soumettre au dualisme réducteur qui caractérise pour certains la relation entre ces deux mondes. Entre l’extérieur et l’intérieur, ne pourrait-il pas y avoir un tiers espace, qu’il conviendrait de découvrir et que Gaston Bachelard appelait l’entre-deux?
Dans notre architecture moderne ou contemporaine qui semble ignorer les nuances, les gammes et les dégradés des espaces, l’édifice s’enveloppe dans une peau qui dessine à elle seule la frontière entre le dehors et le dedans. Qu’elle soit de pierre, de verre ou de métal, cette façade épidermique subit la rencontre entre ces deux mondes sous forme de choc. Dans sa Poétique de l’espace, Gaston Bachelard définissait cela comme le lieu de la collision, là où l’extérieur et l’intérieur se heurtent l’un contre l’autre. Et pourtant, si cette frontière était remplacée par un tiers espace, et non par une peau, il serait possible de tirer profit de la jonction entre les deux mondes pour engendrer un lieu de transition où se ferait l’expérience de la rencontre entre le dehors et le dedans. Cet intermédiaire jouerait le rôle de tampon absorbant l’onde de choc et permettant de vivre une double expérience en étant à la fois ici et ailleurs. Il transformerait la cassure en lien, et la frontière en continuité, en porosité et en harmonieuse transparence.
Lorsque la maison libanaise à hall central avait fait son entrée à Beyrouth, elle s’était trouvée confrontée au problème de l’accès vers les étages supérieurs. Cette maison née en montagne a toujours su profiter de la pente du terrain naturel afin d’aménager des accès directs vers chaque étage immédiatement depuis le jardin situé au niveau correspondant. Elle n’a donc presque jamais développé d’escaliers sauf parfois par l’extérieur, le long de la façade. Arrivée à Beyrouth, cette architecture a choisi de se reproduire selon le même schéma. L’escalier est venu s’exposer sur le côté de l’édifice, comme s’il s’agissait d’un aménagement extérieur. Son modèle plus élaboré s’est ensuite construit sur le jumelage de deux maisons entre lesquelles venaient se glisser les escaliers, mais toujours de manière ajourée. L’expérience du lieu se faisait alors fort agréable dans ce qui «était une cité jardin», pour reprendre Lady Yvonne Sursock Cochrane.
L’accès ne se faisait nullement vers un appartement et à travers une cage d’escalier. Car la notion de cage était bannie. L’accès se faisait vers une maison et à travers des terrasses suspendues. À chaque niveau, l’on faisait l’expérience des parfums des arbres en fleurs, de leur musicalité dans le vent, de la douce chaleur des rayons du soleil à travers les feuillages et les arcades, de la sensation de l’air qui vient effleurer la peau jusqu’à la porte de chez soi. L’architecture excitait tous les sens et insufflait la vie à la cité. Pour reprendre Camille Aboussouan, «nous connaissons peu d’architectures qui soient autant extérieures à elles-mêmes». Des galeries horizontales par endroits, ou verticales pour les escaliers, formaient ces espaces de transition où l’on pouvait faire l’expérience d’être à la fois dedans et dehors, ici et là-bas, dans un lieu privé et public, chez soi et dans la ville. L’escalier n’est plus une cage, mais une voirie verticale formant ainsi l’une des qualités particulières de Beyrouth. Entre le dehors et le dedans, les espaces se réinventent en se déclinant en cinquante nuances.
Si dans la plupart des villes, les filles de joie étaient enfermées dans des maisons closes, Beyrouth leur offrait des maisons ouvertes. La richesse de son architecture créait une superposition de façades en couches successives d’arcades, de galeries et d’escaliers qui filtraient les regards sans jamais les obstruer, et qui révélaient sans dévoiler. Elle associait le montrable au dissimulable, l’officiel à l’officieux et le sentimental au sensuel. Les femmes offrant leur corps nu au soleil pouvaient voir la rue sans trop s’exposer elles-mêmes. Elles pouvaient prendre cette architecture pour vêtement, endosser ses arcades et y épouser la pierre, l’air et la lumière.
La découverte d’un tableau de l’artiste Claire Sounounou nous emporte dans les ruelles, les quartiers et les labyrinthes de Beyrouth lorsque cette ville foisonnait de vie sous l’impulsion de son architecture et de son histoire. Nous voilà debout sur le palier d’un escalier tellement typique de ces bâtiments traditionnels dont il reste encore aujourd’hui quelques témoins entre les rues Gouraud et d’Arménie, autour des quartiers de Mar Mikhaël et de Monnot. Claire Sounounou avait choisi, elle, pour sa toile, le quartier de la prostitution, près de la place des Canons. Elle nous y projette, nous faisant découvrir les filles de joie allongées sur le palier, complètement dévêtues, malgré le dégagement visuel sur la voie publique. Et pourtant, il ne s’agissait pas d’une vue de l’esprit de l’artiste, mais d’une scène bien réelle de la vie dans cette ville méditerranéenne.
L’architecture à Beyrouth s’était inventée une série de nuances spatiales qui se glissaient subtilement entre les concepts du dehors et du dedans. Elle ne pouvait se soumettre au dualisme réducteur qui caractérise pour certains la relation entre ces deux mondes. Entre l’extérieur et l’intérieur, ne pourrait-il pas y avoir un tiers espace, qu’il conviendrait de découvrir et que Gaston Bachelard appelait l’entre-deux?
Dans notre architecture moderne ou contemporaine qui semble ignorer les nuances, les gammes et les dégradés des espaces, l’édifice s’enveloppe dans une peau qui dessine à elle seule la frontière entre le dehors et le dedans. Qu’elle soit de pierre, de verre ou de métal, cette façade épidermique subit la rencontre entre ces deux mondes sous forme de choc. Dans sa Poétique de l’espace, Gaston Bachelard définissait cela comme le lieu de la collision, là où l’extérieur et l’intérieur se heurtent l’un contre l’autre. Et pourtant, si cette frontière était remplacée par un tiers espace, et non par une peau, il serait possible de tirer profit de la jonction entre les deux mondes pour engendrer un lieu de transition où se ferait l’expérience de la rencontre entre le dehors et le dedans. Cet intermédiaire jouerait le rôle de tampon absorbant l’onde de choc et permettant de vivre une double expérience en étant à la fois ici et ailleurs. Il transformerait la cassure en lien, et la frontière en continuité, en porosité et en harmonieuse transparence.
Lorsque la maison libanaise à hall central avait fait son entrée à Beyrouth, elle s’était trouvée confrontée au problème de l’accès vers les étages supérieurs. Cette maison née en montagne a toujours su profiter de la pente du terrain naturel afin d’aménager des accès directs vers chaque étage immédiatement depuis le jardin situé au niveau correspondant. Elle n’a donc presque jamais développé d’escaliers sauf parfois par l’extérieur, le long de la façade. Arrivée à Beyrouth, cette architecture a choisi de se reproduire selon le même schéma. L’escalier est venu s’exposer sur le côté de l’édifice, comme s’il s’agissait d’un aménagement extérieur. Son modèle plus élaboré s’est ensuite construit sur le jumelage de deux maisons entre lesquelles venaient se glisser les escaliers, mais toujours de manière ajourée. L’expérience du lieu se faisait alors fort agréable dans ce qui «était une cité jardin», pour reprendre Lady Yvonne Sursock Cochrane.
L’accès ne se faisait nullement vers un appartement et à travers une cage d’escalier. Car la notion de cage était bannie. L’accès se faisait vers une maison et à travers des terrasses suspendues. À chaque niveau, l’on faisait l’expérience des parfums des arbres en fleurs, de leur musicalité dans le vent, de la douce chaleur des rayons du soleil à travers les feuillages et les arcades, de la sensation de l’air qui vient effleurer la peau jusqu’à la porte de chez soi. L’architecture excitait tous les sens et insufflait la vie à la cité. Pour reprendre Camille Aboussouan, «nous connaissons peu d’architectures qui soient autant extérieures à elles-mêmes». Des galeries horizontales par endroits, ou verticales pour les escaliers, formaient ces espaces de transition où l’on pouvait faire l’expérience d’être à la fois dedans et dehors, ici et là-bas, dans un lieu privé et public, chez soi et dans la ville. L’escalier n’est plus une cage, mais une voirie verticale formant ainsi l’une des qualités particulières de Beyrouth. Entre le dehors et le dedans, les espaces se réinventent en se déclinant en cinquante nuances.
Si dans la plupart des villes, les filles de joie étaient enfermées dans des maisons closes, Beyrouth leur offrait des maisons ouvertes. La richesse de son architecture créait une superposition de façades en couches successives d’arcades, de galeries et d’escaliers qui filtraient les regards sans jamais les obstruer, et qui révélaient sans dévoiler. Elle associait le montrable au dissimulable, l’officiel à l’officieux et le sentimental au sensuel. Les femmes offrant leur corps nu au soleil pouvaient voir la rue sans trop s’exposer elles-mêmes. Elles pouvaient prendre cette architecture pour vêtement, endosser ses arcades et y épouser la pierre, l’air et la lumière.
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