L’annonce mardi soir par le bloc parlementaire du PSP de son appui à la candidature de Nawaf Salam, qui pourrait être soutenu par d’autres blocs et députés souverainistes ou de l’opposition, ouvre-t-elle la voie à une bataille serrée avec le Premier ministre sortant Najib Mikati, à l’instar de celle pour la vice-présidence du Parlement ?

Les consultations parlementaires contraignantes prévues jeudi à Baabda, pour désigner un nouveau Premier ministre, rééditeront-elles l’expérience de l’élection du vice-président du Parlement il y a trois semaines, à savoir une vraie bataille qui se joue à quelques voix près ? Cette hypothèse, qui semblait lointaine il y a quelques jours, nest finalement pas exclue, même si plusieurs sources parlementaires sont convaincues que le chef du gouvernement dexpédition des affaires courantes, Najib Mikati, sera de nouveau désigné au poste de Premier ministre.

La bataille en question opposerait l’actuel locataire du Grand Sérail à Nawaf Salam, ancien ambassadeur du Liban aux Nations unies et actuel juge au sein de la Cour internationale de Justice.

M. Salam, dont le nom avait déjà été avancé par certains blocs parlementaires lors de précédentes consultations, est déjà certain de bénéficier de l’appui du bloc du Rassemblement démocratique –annoncé mardi soir –, du parti Kataëb, et de plusieurs " députés du changement ". D’autres blocs et députés " souverainistes " pourraient également le désigner jeudi. Alors que la position du bloc des Forces libanaises sera annoncée mercredi, ses députés ont tenu de vastes concertations avec leurs collègues au cours des derniers jours pour coordonner les positions.

L’issue des consultations de Baabda n’est pas encore claire, la désignation du Premier ministre ne nécessitant pas une majorité absolue des députés, mais la majorité des voix exprimée. Si un troisième candidat sérieux vient s’ajouter aux deux premiers, ce qui n’est pas totalement exclu, la bataille pourrait se jouer à quelques voix près.

Mikati

Plusieurs sources parlementaires considèrent que la désignation de Najib Mikati est pratiquement acquise, puisqu’il bénéficie clairement du soutien du mouvement Amal, du Hezbollah, et de plusieurs blocs et députés proches du 8 Mars.

M. Mikati obtiendrait également l’appui de plusieurs députés sunnites, sachant que l’ambassadeur saoudien Walid Boukhari multiplie les efforts pour essayer d’unifier les rangs des parlementaires de cette communauté, et en a rencontré plusieurs au cours des derniers jours.

Alors que le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, s’était récemment opposé à la nomination de M. Mikati, cette option ne semble pas entièrement écartée. Certains membres du bloc du CPL ne cachent pas leur opposition à un chamboulement gouvernemental quatre mois avant la fin du mandat du président de la République, " à moins que l’objectif ne soit lié à la préparation d’une vacance présidentielle ", laisse entendre l’un d’entre eux.

Commentant la position du chef du CPL, des observateurs estiment que le flou résulte " de la faiblesse qui marque la fin du mandat ", et des mauvaises relations de M. Bassil avec la plupart des blocs parlementaires. Selon eux, il se retrouve dans une position difficile, surtout s’il est contraint d’appuyer Najib Mikati après avoir dit qu’il ne le ferait pas.

Salam

Le principal développement mardi au niveau de la désignation du Premier ministre a été l’annonce par le Rassemblement démocratique, réuni à Clemenceau en présence du chef du Parti Socialiste Progressiste Walid Joumblatt, qu’il désignera Nawaf Salam.

Le bloc a cependant souligné qu’il ne participera pas au prochain gouvernement, appelant à ce que la formation se fasse " sans retard ni perturbation pour que le gouvernement puisse se consacrer aux tâches difficiles qu’il aura à assumer ".

Qu’en est-il de la position des " députés du changement " ? Ces derniers tentent de s’entendre sur un même candidat, mais cela n’est pas encore acquis. En annonçant lundi qu’il appuyait la candidature de Nawaf Salam, le parti Takaddom, représenté par les deux députés Najat Aoun Saliba et Mark Daou, a quelque part forcé les 11 autres élus de la contestation à trancher.

Certains d’entre eux, à l’instar de Paula Yacoubian, ne sont pas en faveur de la désignation de M. Salam, qui selon eux ne représente pas les forces de la thaoura. D’autres, comme Waddah Sadek, avaient déjà annoncé depuis quelque temps leur appui à M. Salam.

Cela signifie-t-il que les députés du changement iront en rangs dispersés jeudi à Baabda ? S’ils réussissent à s’entendre sur un même nom, ils participeront en tant que bloc aux consultations. À défaut, chacun ira tout seul et désignera son candidat, comme le précisent à IciBeyrouth des sources proches de ces députés.

Elles soulignent que les treize élus excluent de désigner M. Mikati, et pourraient nommer soit Nawaf Salam, soit un autre candidat, qui pourrait être Khaled Ziadé, ancien ambassadeur libanais en Egypte. L’équation que ces députés souhaiteraient imposer serait " un candidat du changement en lice contre un candidat du système ".

Trois scenarii

Alors que les résultats des consultations de jeudi ne sont pas clairs, des observateurs proches du 14 Mars évoquent trois possibilités. Premier scénario : l’opposition réussit à s’entendre sur un même candidat, en principe Nawaf Salam, qui serait désigné Premier ministre. Même si cela constitue une victoire, ce candidat aura de grandes difficultés à former un gouvernement, notamment en raison de l’opposition du président Aoun.

Deuxième scénario, qui est peu probable : le député Gébran Bassil réussit à imposer un candidat proche de lui, ce qui lui permettra d’être ministre dans le gouvernement et d’effectuer les nominations qu’il veut imposer, notamment à la tête de la Banque du Liban et de l’armée.

Troisième scénario : Najib Mikati est redésigné. Même s’il n’arrive pas à former un nouveau gouvernement, il continue de diriger l’actuelle équipe, somme toute assez homogène, jusqu’à la fin du mandat.

Selon les observateurs précités, cette possibilité est la plus probable pour l’instant.

Contrairement aux analyses qui estiment que la reconduction de M. Mikati serait une victoire pour le camp du 8 Mars, ces sources jugent que l’actuel locataire du Grand Sérail " représente le statu quo ", que la plupart des blocs parlementaires voudraient garder jusqu’à la fin du mandat Aoun.

" Le seul qui aimerait changer ce statu quo est Gebran Bassil, afin d’entrer gouvernement, se défaire des sanctions, effectuer des nominations, et, en cas de vacance présidentielle, se retrouver super ministre ", indiquent ces observateurs, qui ajoutent : " Si le statu quo ne change pas, le chef du CPL enregistrera une défaite, et le mandat aussi. "

Elles notent en outre que M. Mikati n’a aucun intérêt à se comporter en tant que Premier ministre du 8 Mars, que ce soit vis-à-vis des sunnites libanais, ou de l’Arabie saoudite, surtout après le retrait de Saad Hariri de la vie politique.

Quoi qu’il en soit, la bataille pour nommer un Premier ministre semble indissociable de la bataille pour la présidence de la République, qui sera déterminante pour le sort du pays.