A Doha, le président a affirmé qu’il resterait à la tête de l’Etat, seulement si la Chambre le lui demande


Pendant que des Libanais bloquaient des routes aux quatre coins du pays, pour protester contre une situation devenue invivable du fait de la chute libre de la monnaie nationale et de l’absence d’efforts de redressement, de Doha où il était reçu hier par l’émir Tamim Ben Hamad al-Thani, le président Michel Aoun laissait entendre qu’il pourrait prolonger son mandat –celui-ci prend fin en octobre 2022- si le Parlement le lui demandait. Dans le même temps, il annonçait que les législatives auront lieu dans les délais constitutionnels, soit quelques mois avant la présidentielle, au printemps prochain.

M. Aoun qui a tenu ces propos dans le cadre d’une interview à la chaîne panarabe, Al-Jazeera, n’a pas précisé cependant l’utilité d’une deuxième investiture alors qu’il s’est montré parfaitement incapable au cours des cinq dernières années de mettre en place avec son camp, ne serait-ce que les grandes lignes d’une politique pouvant servir de base à un processus de redressement du pays. A Doha, Michel Aoun a répété devant l’émir qatari le leitmotiv préféré de son camp, à savoir que la crise au Liban est "le résultat d’un cumul (de mauvaises pratiques) et de politiques économiques erronées", au cours des trente dernières années. Pas un mot sur les cinq années de son mandat au cours desquelles la crise qui affecte le Liban n’a fait que s’envenimer, avec des signes précurseurs d’un effondrement annoncé.

La liste des préjudices que la politique des cinq dernières années a portés au pays est longue. Elle n’est certes pas le fait du seul camp présidentiel, mais ce dernier s’est assurément adapté à un dysfonctionnement qu’il critiquait pourtant. Il a composé sans états d’âme avec une politique qui a pratiquement éloigné le Liban de son environnement arabe, à partir du moment où elle l’a fait glisser davantage vers l’axe iranien, grâce à une alliance politique avec le Hezbollah, laquelle a assuré à cette formation une couverture chrétienne de taille.

L’échec du sexennat se mesure également à son incapacité à proposer dès le départ une solution durable et radicale au dossier de l’électricité, responsable à plus de 40% de la dette publique. Cinq ans plus tard, le Liban est dans le noir le plus total. Au propre comme au figuré. Et ce n’est sûrement pas une prolongation du mandat présidentiel qui permettra une sortie de crise.

Pourquoi Michel Aoun voudrait-il rester à la tête de l’Etat et pourquoi le Parlement voudrait-il prolonger son mandat? Pour des raisons inhérentes aux ambitions politiques de son camp, explique en substance Hassane Rifaï, constitutionnaliste, qui en avance deux : s’efforcer d’obtenir l’élection de son gendre, le chef du CPL, Gebrane Bassil ou un proche du parti, et éviter qu’une personnalité capable de démontrer l’ampleur des dégâts causés par le camp présidentiel au Liban n’accède à la présidence de la République.

Même s’il a déjà déclaré qu’il ne resterait pas à Baabda après l’expiration de son mandat, quoique en employant des formules ambiguës, M. Aoun n’en caresse pas moins le rêve d’y rester. Une ambition contre laquelle le chef de l’Eglise maronite, Béchara Raï, a mis en garde dimanche, dans son homélie dominicale.

Le chef de l’Etat dispose d’une batterie de manœuvres qui lui permettent d’atteindre son objectif, dont notamment celui de torpiller les élections. L’une d’elles serait de "pousser la Chambre à prolonger son propre mandat par peur d’un vide au niveau de la législature, si pour une raison quelconque les législatives sont compromises", explique M. Rifaï. "Le tandem chiite n’acceptera jamais un vide législatif et proposera une loi de prolongation du mandat de l’assemblée, assure-t-il. Comme une grande majorité des Libanais est montée contre la classe politique et voudrait voir émerger un nouveau Parlement et une nouvelle majorité, le président pourra dire à la Thawra : Si ce même Parlement reste en place,  le président qu’il élira sera d’un certain bord politique. Si vous voulez un président élu par la nouvelle majorité et qui reflète les aspirations du peuple, il faudra forcément prolonger le mandat du président afin que la nouvelle assemblée puisse élire un nouveau chef de l’Etat."