Une ordonnance a été rendue le 16 juin à Londres par la Haute cour de justice, sommant la société Savaro Ltd, présumée d’avoir fourni le nitrate d’ammonium à l’origine de la double explosion du 4 août 2020, de révéler l’identité de ses bénéficiaires économiques finaux.

À quelques semaines de la seconde commémoration de l’explosion au port de Beyrouth 4 août 2020, la justice semble commencer à prendre son cours, mais devant des tribunaux non libanais, ouvrant la voie peut-être à une internationalisation de l’enquête. De fait, une ordonnance a été rendue le 16 juin par la Haute cour de justice de Londres, sommant la société Savaro Ltd, présumée d’avoir fourni le nitrate d’ammonium à l’origine de la double explosion du 4 août, de révéler l’identité de ses bénéficiaires économiques finaux (les UBO – Ultimate Beneficial Owner).

" Les UBO d’une société sont des personnes physiques qui peuvent être différentes des actionnaires et qui, en dernier ressort, détiennent ou contrôlent effectivement, directement ou indirectement, la société ", explique le professeur Nasri Diab, qui fait partie des avocats représentant les victimes au procès.

Cette ordonnance s’inscrit dans le cadre d’un procès civil en responsabilité (devant aboutir le cas échéant au versement de dommages-intérêts) intenté il y a dix mois contre la société Savaro Ltd par le barreau de Beyrouth comme victime lui-même et certaines victimes du 4 août représentées par l’ancien bâtonnier Melhem Khalaf, Nasri Diab et Choucri Haddad, avec le bureau d’études Dechert LLP représenté par Camille Abousleiman.

Opposition in extremis à la liquidation de Savaro

Me Diab rappelle que " la société était sur le point d’être dissoute en janvier 2021 " et qu’il l’avait appris avec ses collègues par les documents du registre de commerce de Londres, la Companies House. Le barreau de Beyrouth s’était opposé auprès du Registre de commerce de Londres, la " Companies House ", à la tentative de liquidation de Savaro Ltd, qui aurait rendu impossible toute poursuite contre elle. L’opposition à la liquidation était fondée sur l’intention du barreau de présenter un procès civil en responsabilité, à Londres, contre la société en question.

" Une coquille vide "

Les avocats qui représentent, pro bono en assumant les frais de l’action, les victimes de l’explosion au port avaient découvert en outre que l’identité des UBO ne figurait pas dans le dossier de la société à la Companies House, ce qui constituait une violation à la réglementation en vigueur, comme l’avaient également relevé les parlementaires anglais Margaret Hodge et John Mann avec lesquels le bureau d’accusation avait correspondu à l’époque.

" Lorsque nous nous étions rendus à Londres la première fois pour enquêter au sujet de Savaro Ltd, nous avions été surpris qu’elle fût en phase de liquidation, que c’est une coquille vide dans un siège social fictif où bon nombre d’autres sociétés y figuraient ", précise Me Diab.

Engager la responsabilité des bénéficiaires 

À la question de savoir quelles seraient les étapes à suivre une fois l’identité des UBO révélée, Me Diab répond: " D’un point de vue strictement juridique, nous devons étudier la question profondément. S’agira-t-il de poursuivre directement ces UBO, solidairement avec Savaro Ltd et par quels moyens engager leur responsabilité ? " D’un point de vue stratégique, " il est déjà essentiel de connaître l’identité de ces gens puisqu’une telle information constituerait un fil conducteur qui pourrait nous mener sur d’autres pistes ", dit-il. En attendant que la société exécute la décision rendue par la Haute cour de justice de Londres dans les délais fixés par celle-ci, les victimes de l’explosion au port célèbrent aujourd’hui une première victoire.