Au Liban, les partis au pouvoir doivent se protéger et assurer leur continuité. Le rejet exprimé dans les urnes à leur encontre a ouvert la voie à la possibilité d’un réel changement, révélant ainsi toute l’aversion des Libanais, excédés par eux.

Certes, ces partis ont été prompts à limiter leurs pertes et ont usé de tous les moyens pour maintenir leur emprise sur les institutions. C’est bien ce qui s’est produit lors de l’élection du président, du vice-président et du bureau du Parlement ou lors du processus de nomination du Premier ministre qui aura la charge de former le prochain gouvernement. En effet, ce sont bien les candidats du système qui ont été reconduits.

Néanmoins, ces manœuvres n’ont procuré aux partis qu’une garantie minimale de pouvoir conserver leurs acquis. Nabih Berry a remporté la présidence du Parlement en obtenant seulement 65 voix (sur 128), son score le plus faible en 30 ans, et la nomination de Nagib Mikati comme Premier ministre s’est passée dans les conditions connues de tous.

C’est peut-être la dispersion de l’opposition et sa transformation en oppositions hétérogènes et concurrentes qui ont servi les partis au pouvoir et continueront de les servir si rien ne change. Ainsi, les partis atteindront leurs objectifs et s’imposeront comme la majorité parlementaire en jouant justement de ces contradictions, alors que les Libanais ne leur ont pas réellement octroyé cette majorité.

D’ailleurs, ces objectifs ne seront atteints qu’en maintenant les mêmes figures qui échangent les rôles et se partagent les privilèges. Aussi, les différences ne sont qu’un trompe-l’œil qui cache le consensus qui s’opère sous la table.

Cependant, les comportements populistes et la priorisation des intérêts personnels restent inchangés et se traduiront par toutes les embûches semées pour entraver la formation du prochain gouvernement. Et, cette fois-ci, Nagib Mikati ne pourra pas arrondir les angles, étant donné que les circonstances ont changé, en particulier au niveau des exigences du moment, pour le député Gebran Bassil. Les propos dans les médias et les fuites concernant sa demande de retour au gouvernement n’ont que valeur de chantage. Avec son insistance à obtenir des ministères profitables et régaliens, au premier rang desquels le ministère de l’Énergie, Gebran Bassil veut amorcer son retour au gouvernement. Ce retour est d’ailleurs une nécessité absolue, après qu’il s’est contenté de nommer des fonctionnaires qui lui sont inféodés au rang de ministres, afin de se consacrer et de se préparer à succéder à son beau-père à Baabda.

Derrière cette insistance figurent les sanctions imposées à Gebran Bassil par les États-Unis, qui ont conduit à la fois à l’isoler et à briser son rêve d’accéder à la présidence de la République, ainsi qu’à le priver de tout contact avec un responsable arabe ou international. Or cet isolement ne sera rompu que par son retour au ministère des Affaires étrangères qui consacrera sa présence dans la vie politique et diplomatique, et obligera de ce fait ses boycotteurs à coopérer avec lui.

Ironiquement, les partis au pouvoir savent pertinemment que le chantage que Gebran Bassil exercera, conjugué à la volonté résolue de Nagib Mikati de ne pas y céder bloqueront le processus de formation du gouvernement. Pourtant, ils ont tout fait pour nommer M. Mikati, prétextant des arguments qui n’ont rien à voir avec le pouvoir exécutif et l’administration de l’État en temps normal. Alors que dire dans un contexte où l’État s’effondre et où le citoyen, dont les perspectives d’avenir sont inconnues et la réalité effrayante, ne trouve plus de quoi subvenir à ses besoins quotidiens.

Mais les circonstances exceptionnelles ne sont pas et ne seront pas le critère qui a conduit les partis, menés par le Hezbollah, à empêcher toute personnalité extérieure à leur pré carré d’atteindre une haute fonction.

Les partis au pouvoir savent que leur pérennité ne dépend pas de leurs réalisations, ni de la confiance des citoyens, mais de leur positionnement sectaire pur et dur qui donne aux Libanais l’illusion que toute issue à leur situation actuelle se fera aux dépens de l’appartenance religieuse. Ainsi, la communauté devient le protecteur de ces partis et non pas des fidèles. C’est ainsi que certains choix s’imposent aux Libanais. Peu importe d’ailleurs si la personne choisie par les députés représentatifs de la communauté ne répond pas aux critères requis par le poste. Ce qui compte, c’est de servir les intérêts de ceux qui l’ont nommée, sous couvert du sacro-saint consensus.

Nagib Mikati était ainsi désigné, et Gebran Bassil pourra subséquemment exercer son chantage sur lui. De quoi soulager le Hezbollah et Amal, qui prétendent respecter la communauté sunnite, dans le but de resserrer leur contrôle sur la communauté chiite et confisquer sa représentation au Parlement et au gouvernement, même par le truchement de personnes hors-la-loi. En réalité, l’émancipation des chiites libérera le Liban de tous les seigneurs communautaires qui continuent à le détruire.

Il semblerait que les armes ne suffisent plus à protéger ceux qui dirigent les partis au pouvoir. Les élections législatives en sont la preuve. Par conséquent, la glorification du sectarisme reste la plus forte et la plus efficace des armes.