La chercheuse sur le Liban au sein de Human Rights Watch, Aya Majzoub, et la directrice du bureau de Paris de HRW, Bénédicte Jeannerod, ont cosigné une tribune dans le Monde, parue le lundi 4 juillet, appelant la France à soutenir l’ouverture d’une enquête internationale sur la double explosion au port de Beyrouth, tout en pointant du doigt "l’inaction" du président français, Emmanuel Macron.

Les appels à l’ouverture d’une enquête internationale sur la double explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth se renouvellent, cette fois par la voix de l’ONG internationale Human Rights Watch (HRW). La chercheuse sur le Liban au sein de HRW, Aya Majzoub, et la directrice de son bureau de Paris, Bénédicte Jeannerod, ont cosigné une tribune dans le Monde, parue le lundi 4 juillet, sous le titre "Emmanuel Macron devrait, par des actes concrets, envoyer un message clair à la classe politique libanaise". Elles appellent la France à soutenir l’ouverture d’une enquête internationale, tout en pointant du doigt "l’inaction", selon elles, du président de la République française, Emmanuel Macron. Deux jours après la déflagration meurtrière, ce dernier s’était rendu dans la capitale libanaise pour exprimer son soutien envers les victimes du port ainsi que leurs familles. Il avait exprimé sa volonté de suivre le dossier de près et ne pas le lâcher avant que justice soit faite. M. Macron avait, dans le même ordre d’idées, prôné la nécessité de mener "une enquête internationale ouverte et transparente pour éviter que des choses soient cachées et que le doute s’installe". Après deux ans de travail, marqués par des correspondances entre HRW et les membres du Conseil des droits de l’homme, la tenue de conférences de presse visant à solliciter l’aide de la communauté internationale et l’organisation de rencontres avec des diplomates dans diverses capitales du monde, la réponse quant à l’option d’une internationalisation de l’enquête, négative, est déclinée en "Ce n’est pas le bon moment", "Ce n’est pas une question de droits humains", ou encore "Laissez une chance à l’enquête nationale". Pourtant, relèvent les deux femmes, "les politiciens mis en cause ont réussi à suspendre indéfiniment l’enquête" au Liban, deux ans après le drame.

Responsabilités politiques et militaires partagées

Pour contrer cette culture de l’impunité, l’ONG a réalisé une analyse approfondie de multiples documents officiels. Elle a réussi à conclure, preuves à l’appui, que l’explosion n’était en aucun cas le résultat d’un accident. Au contraire, les résultats auxquels HRW a pu aboutir laissent penser que bon nombre de responsabilités politiques et militaires étaient, directement ou indirectement, engagées dans cette affaire, comme nous pouvons le lire dans la tribune. "[Ils] avaient conscience de la menace importante pour la vie que représentait le stock de nitrate d’ammonium dans le port et avaient tacitement accepté ce risque. En vertu du droit international des droits humains, cela constitue une violation du droit à la vie", expliquent Majzoub et Jeannerod. Dans son évaluation, et tel que rapporté dans la tribune, HRW met la lumière sur l’ingérence politique, l’immunité accordée à des responsables politiques, le non-respect des normes du procès équitable et les violations des procédures régulières. "Dans toutes nos conversations revient un point d’achoppement central: la nécessité du "feu vert" de la France pour que d’autres pays soutiennent publiquement un mécanisme d’enquête. Ces derniers semblent s’en remettre à la France en raison de la perception de sa "relation spéciale" avec le Liban, c’est-à-dire de son histoire coloniale", écrivent les deux activistes.

Avis mitigés au Liban

Au Liban, les avis sur une internationalisation de l’enquête, qui pourrait s’ouvrir par exemple sous l’égide du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, restent partagés. Certains vont même jusqu’à qualifier cette procédure de vaine. Rappelons qu’au lendemain de l’explosion qui a ôté la vie à 220 personnes et blessé 6.500 autres, des parties internationales se sont mobilisées, mais leurs interventions sont restées sans suite en droit. Ni le rapport du FBI, ni les prélèvements effectués par les sous-marins français (pour ne citer que quelques travaux d’expertise), ni les images fournies par les Russes n’ont permis d’apporter officiellement des éléments concrets sur ce qui s’est réellement passé, ni de faire avancer l’enquête. En outre, depuis qu’il a été chargé du dossier, le juge d’instruction, Tarek Bitar, a adressé dix-huit demandes d’information à de multiples pays, dont le Mozambique et la Géorgie, au sujet du bateau, le Rhosus, qui aurait déchargé le nitrate d’ammonium au port de Beyrouth en 2014. Aucune réponse à ses demandes n’a été publiquement signalée. Toute collaboration semble suspendue, "ce qui donne un avant-goût de ce à quoi aurait mené une enquête internationale", avancent certains juristes. D’autres gardent une lueur d’espoir, au vu d’avancées concrètes récemment marquées devant des juges étrangers, en l’occurrence britanniques. Dans le cadre d’un procès civil en responsabilité (devant aboutir le cas échéant au versement de dommages-intérêts) intenté dix mois plus tôt contre la société Savaro Ltd, fournisseuse présumée du nitrate, par le barreau de Beyrouth, comme victime lui-même, et certaines victimes du 4 août représentées par des avocats libanais, une ordonnance a été rendue le 16 juin sommant la société de révéler l’identité de ses propriétaires effectifs. Il faudra attendre de voir ce que le procès devant la justice britannique apportera à l’enquête, et la manière dont il pourrait contribuer à son internationalisation, en tout cas son déblocage.