L’ONG Human Rights Watch (HRW) continue de faire pression sur les États, en se focalisant sur la France qui serait, jusqu’à preuve du contraire, "de connivence avec la classe politique libanaise pour éviter toute internationalisation de l’enquête" sur l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, selon la chercheuse sur le Liban au sein de HRW, Aya Majzoub, interviewée par Ici Beyrouth.

Ceux qui espèrent que justice soit faite pour les victimes de la double explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020, ont une nouvelle fois les yeux rivés sur la France. Le président français, Emmanuel Macron, est appelé à prendre une initiative, avec les 46 autres membres du Conseil des droits de l’homme, pour donner le coup d’envoi à une enquête internationale sur la tragédie du 4 août 2020. L’appel lancé par l’ONG Human Rights Watch (HRW) dans une tribune parue dans Le Monde, en date du 4 juillet, vise à inciter les nations à s’impliquer dans un dossier qui stagne depuis plus de 7 mois en raison des multiples ingérences politiques. Ici Beyrouth s’est entretenu avec Aya Majzoub, chercheuse sur le Liban au sein du HRW qui a cosigné la tribune avec Bénédicte Jeannerod, directrice du bureau de Paris de HRW.

Elle explique que le mécanisme d’une enquête internationale peut toujours être déclenché, même si le Liban s’y oppose, et serait complémentaire au travail effectué par les juges nationaux.

Déclencher une enquête internationale

Le Conseil des droits de l’Homme est un organe intergouvernemental relevant des Nations Unies qui peut déclencher des missions d’enquêtes internationales, à la demande d’un État ou d’un groupe d’États. "Une fois cette demande établie, les 47 membres du Conseil des droits de l’Homme procèdent à un vote pour ou contre la résolution proposée, indique Mme Majzoub. Une fois la majorité obtenue, la résolution est adoptée et la mission d’enquête internationale lancée, même si l’État concerné par la demande, en l’occurrence le Liban, s’y oppose ", explique Aya Majzoub.

Quelques jours après la déflagration meurtrière, le président de la République, Michel Aoun, avait rejeté l’internationalisation de l’enquête, estimant que "le but recherché par la demande d’une enquête internationale sur l’affaire du port de Beyrouth est de dissimuler la vérité" et que "les portes des tribunaux seront ouvertes aux hauts responsables comme aux petits fonctionnaires". A cela, il avait ajouté qu’ "aucune couverture ne sera assurée pour quiconque est impliqué dans l’explosion".

Aujourd’hui, l’enquête est suspendue, parce que des personnes soupçonnées d’être impliquées dans la double explosion, notamment des responsables politiques convoqués à plusieurs reprises par le juge d’instruction, Tarek Bitar, refusent de comparaître devant la justice. Ces responsables, dont deux députés et anciens ministres proches du mouvement Amal (Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter), cherchent par tous les moyens à ralentir le cours de la procédure judiciaire.

Procédure pour renforcer l’enquête 

"Il n’est pas de l’intérêt du gouvernement libanais ni des responsables politiques d’internationaliser l’enquête, souligne Mme Majzoub. Ils savent qu’ils n’auront plus aucune mainmise sur le dossier dans ce cas de figure et essaient de se protéger parce qu’ils sont tous responsables de ce crime ", poursuit-elle. Dans un rapport publié en 2021, HRW conclut à la culpabilité du gouvernement libanais pour violation du droit à la vie de ses citoyens. "En mettant l’accent sur la défaillance de l’État libanais à protéger le droit à la vie, l’enquête internationale renforcerait celle en cours au Liban et servirait d’appui aux autorités libanaises pour traduire en justice tous ceux soupçonnés d’être pénalement responsables d’une telle catastrophe", avance la chercheuse.

Alors que l’enquête menée au niveau national vise à délimiter les responsabilités individuelles, l’enquête internationale responsabiliserait l’État pour violation du droit à la vie. Ce droit, prévu dans l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), est autonome et inaliénable. Ce Pacte a été ratifié par le Liban en 1972.

La France et la demande d’internationalisation 

La communauté internationale qui, selon Mme Majzoub, "ne remplit pas pleinement ses fonctions, ni assume ses responsabilités en la matière", attend le feu vert de la France pour déclencher l’enquête internationale. À la suite des multiples réunions effectuées entre le HRW et les diplomates de nombreux pays, ceux-ci avaient insisté sur la nécessité que cette initiative soit prise par la France en raison de ses relations d’amitié historique avec le Liban.

Il reste que pour Aya Majzoub, "il semble que la France n’a aucunement l’intention d’enclencher un tel mécanisme, ce que prouve la feuille de route de réformes proposée par le président Macron à la classe politique libanaise, au lendemain de sa visite au Liban". Mais l’ONG continue de faire pression sur les États, en se focalisant sur la France qui serait, jusqu’à preuve du contraire, "de connivence avec la classe politique libanaise pour éviter toute internationalisation de l’enquête ", conclut Aya Majzoub.