Le Premier ministre a évoqué le matin le blocage gouvernemental avec le président Michel Aoun. Les règlements envisagés butent sur des considérations politiques.


C’est au final une visite de courtoisie que le Premier ministre Nagib Mikati, a effectuée au palais de Baabda, au lendemain de la visite officielle du président Michel Aoun à Doha pour des discussions avec l’émir qatari, cheikh Tamim ben Hamad al-Thani. Les propos qu’il a tenus au terme de l’entretien, à savoir que "le gouvernement se maintient mais pas le Conseil des ministres", en disent long sur une crise qui n’est pas près d’être réglée. Et son discours coup de poing à l’occasion du lancement de la plate-forme qui recueillera les inscriptions des Libanais, parmi les plus pauvres, pour l’obtention de la carte d’approvisionnement témoigne de son ras-le bol et de l’échec de toutes les tentatives de règlement du chantage exercé par le tandem chiite, le mouvement Amal et le Hezbollah, sur son gouvernement.

Le pays reste donc bloqué parce que les deux formations chiites refusent que le cabinet reprenne ses réunions et examine les issues possibles à la pire crise financière, économique et sociale de l’histoire du Liban, avant que ce qu’il appelle "le problème du juge Bitar" ne soit réglé. Amal et le Hezbollah veulent que le juge d’instruction, Tarek Bitar, en charge de l’enquête sur l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth soit écarté du dossier. Ils l’accusent de politiser celui-ci à partir du moment où le magistrat a engagé des poursuites contre des responsables politiques.

Une proposition parlementaire comme solution

Une formule de déblocage concoctée par le président de la Chambre, Nabih Berry, et considérée comme étant consensuelle consiste à laisser le Parlement mettre en place la Haute cour chargée de juger les présidents, les chefs et les membres du gouvernement pour que les anciens ministres Ghazi Zeayter, Ali Hassan Khalil et Nohad Machnouk, aujourd’hui députés, comparaissent devant elle et que le juge Bitar reprenne son enquête avec les autres personnalités poursuivies, notamment l’ancien Premier ministre, Hassane Diab, et les anciens ministre, Youssef Fenianos et commandant en chef de l’armée, Jean Kahwagi, en plus d’autres responsables. Tous sont poursuivies pour "manquements aux devoirs de la fonction et négligence, ayant provoqué des décès".

Pour cela, il était question que le Parlement vote une proposition de loi en ce sens. Or, la formule proposée qui bénéficie du feu vert du patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, bute sur l’opposition du chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, apprend-on de sources au courant des tractations menées pour dégager une solution. Le chef du CPL est prêt à assurer le quorum parlementaire nécessaire pour l’approbation de cette proposition de loi, mais refuse de voter en faveur du texte, indiquent les mêmes sources à Ici Beyrouth. La position de Gebran Bassil s’explique par le fait que le parti fondé par le président de la République soutient l’enquête menée par le juge Bitar –il l’a déjà affirmé à plusieurs reprises- et par le fait que le chef du CPL ne veut pas rendre la vie facile au chef d’Amal, le président de la Chambre, Nabih Berry, avec les qui les rapports politiques ne sont pas au beau fixe.

Ce dossier aurait été évoqué durant l’entretien matinal Aoun-Mikati. De mêmes sources, on indique que le chef de l’Etat a fait savoir aux médiateurs qui le sollicitent pour une intervention auprès de Gebran Bassil, qu’il ne peut pas user de pressions sur ce dernier.

Les positions du chef du CPL et du président sont à situer dans le cadre du bras-de-fer politique engagé entre le camp présidentiel et le chef du mouvement Amal, sur plusieurs dossiers, dont celui de l’enquête sur l’explosion au port, qui avait pulvérisé de nombreux quartiers de la capitale.

Entre-temps, le gouvernement reste paralysé pendant que la livre libanaise poursuit sa chute libre et que le nombre de Libanais qui s’appauvrissent ne fait qu’augmenter. Ce blocage, Nagib Mikati, l’a confirmé durant le lancement des inscriptions sur la plate-forme mise en place par le ministère des Affaires sociales à l’adresse des bénéficiaires potentiels de la carte d’approvisionnement.

Un manque de coopération

Dans le volet politique de son discours, il n’a pas hésité à égratigner le tandem chiite, mais aussi le camp présidentiel, pour le manque de coopération de ce dernier au règlement de la crise politique.

"Concernant la reprise des réunions du Conseil des ministres, je me suis efforcé de trouver une solution et je continue de le faire. Je suis en faveur de toute mesure pouvant rapprocher les points de vue et je mise pour cela sur la sagesse de tous et leur prise de conscience de la gravité de la situation actuelle qui commande une intensification des efforts devant déboucher sur le traitement des dossiers en rapport avec a crise économique, financière et sociale", a-t-il déclaré.

Relevant que sa position a fait "l’objet de nombreuses critiques", Nagib Mikati a estimé que "les parties concernées doivent réaliser qu’aucune solution ne peut intervenir que dans le cadre des institutions". "Aucune solution ne peut être imposée à travers la paralysie ou le fait accompli", a-t-il martelé dans une allusion directe au tandem chiite. "C’est la raison pour laquelle j’ai attendu avant de convoquer de nouveau le Conseil des ministres. J’espérais que tous réaliseraient qu’il faut tenir le gouvernement à l’écart de ce qui ne le concerne pas, surtout que nous sommes tous d’accord sur l’autonomie de la justice et que toute problématique doit être réglée dans le cadre de la magistrature, conformément aux dispositions de la Constitution, sans intervention politique", a-t-il dit.

Et de poursuivre avec la même véhémence : "N’avons-nous pas tiré les leçons d’expériences identiques, durant lesquelles la paralysie a servi d’arme fatale au coût exorbitant pour les Libanais qui en paient encore le prix?" Le Premier ministre a cependant relevé une nuance, à savoir "qu’aujourd’hui nous ne disposons plus d’une faculté de résistance et nous l’avons plus le luxe du temps".

Nagib Mikati s’est référé au lancement de la plateforme sociale pour "montrer l’ampleur de la catastrophe dans laquelle le Liban est plongé". "Ce lancement doit inciter à renoncer à la politique de blocage et aux conditions qui sont posées", a-t-il dit, avant de juger "inadmissible que les parties qui ont participé et qui participent au pouvoir se dérobent à leurs responsabilités et jettent la responsabilité (de la crise) sur ceux qui ont accepté de porter la boule de feu".