Les Libanais sont coutumiers des menaces de blackout total. La dernière annonce en date concernant le risque de l’arrêt de toutes les centrales électriques libanaises n’est pas la première et ne sera probablement pas la dernière. Les autorités dirigeantes et leurs entourages respectifs sont passés maître dans l’art d’user de la "menace" pour opprimer le peuple libanais. Celles-ci peuvent aller d’une assignation à résidence forcée de citoyens qui n’arrivent pas à obtenir un nouveau passeport, en passant par le silence des complices pour faciliter le vol en règle – par le biais des mesures prises par les opérateurs de téléphonie mobile Alfa et Touch, et le ministère des Télécommunications – concernant la hausse des frais de communication, en échange d’un service défaillant, que ce soit au niveau des télécommunications ou du réseau Internet. Sans oublier la Société des eaux de Beyrouth et du Mont-Liban qui exige de tous ses abonnés de régler leurs factures d’eau alors que les canalisations qui alimentent Beyrouth étaient endommagées et que leur réparation a duré environ un mois.

C’est comme si les Libanais se complaisent dans leurs souffrances dans l’espoir d’obtenir bien moins que leur argent bloqué dans les banques. L’achat d’un paquet de pain fait désormais partie de l’humiliation quotidienne que subit le citoyen libanais. Les gens se bousculent devant les boulangeries, au lieu de les boycotter, et par conséquent, mettre fin à tous genres de monopoles.

Le paradoxe réside dans la résignation des citoyens à accepter toutes sortes d’humiliations et à vivre avec. C’est à croire que cette soumission est devenue un mode de vie normal, qui accompagne les crises en série qui frappent le pays. Ainsi, s’y opposer est considéré inutile, sauf pour exprimer une certaine frustration.

Il suffit de faire la queue devant un guichet d’hôpital pour constater là encore à quel point les Libanais cohabitent avec tous les malheurs qui les submergent. Afin d’admettre un patient dans leurs établissements, les hôpitaux exigent un acompte qui couvre les frais allant d’une première prise de sang à la durée approximative de l’hospitalisation. Et les dollars s’accumulent dans les caisses sous le nez des payeurs silencieux, qui ne bronchent pas, ne serait-ce que pour revendiquer leurs droits en tant qu’êtres humains. D’ailleurs, toute discussion sera vaine dans la mesure où l’équation est claire: les détenteurs de dollars bénéficieront de soins, tandis que ceux qui ne possèdent pas de billets verts ne seront pas soignés, au risque de mourir des suites de leur maladie. Quant à ceux qui n’ont d’autre choix que de payer les frais d’hospitalisation en livres libanaises, ils devront alors le faire au taux de change du marché noir, voire à un taux plus élevé encore.

La situation est cependant tout autre pour les Libanais qui ont accès aux dollars via les virements de l’étranger. C’est une manne qui leur est d’une aide cruciale pour tenir dans un pays dont la classe dirigeante a pour unique préoccupation la ruine de son propre peuple. Les taux du marché noir varient à l’achat et à la vente de quelques centaines de milliers de livres libanaises. En réalité, il existe deux types de marchés noirs. L’un est officiel, l’autre ne l’est pas. De plus, quiconque désirant payer en dollars dans une station-service doit être prêt à se faire arnaquer sans aucun scrupule, au motif que chaque marché répond à ses propres lois.

Le Libanais a certainement sa part de responsabilité dans cet état de fait puisqu’il reste sans réaction devant les moyens déployés par le pouvoir et ses sbires pour le voler. Même pas un sursaut pour se révolter contre cette réalité amère.

Il est tout aussi possible qu’il refuse de se révolter, parce qu’il est parfois complice des mêmes crimes que la classe corrompue qui le gouverne. En réalité, les Libanais sont en train de se voler les uns les autres, comme si le pillage de leurs dirigeants ne semblait pas suffisant. Loin de toute généralisation, il est désormais évident qu’il existe une catégorie de Libanais qui œuvre pour tirer son épingle du jeu et profiter de cet effondrement total.

Il ne fait aucun doute que l’escroc et la victime considèrent que ces vols mutuellement commis sont normaux et acceptables. Sinon comment expliquer ce partenariat tacite? Et comment expliquer également l’absence de contestation ouverte alors qu’il n’y a aucun boycottage de commerçants devenus insatiables et de leurs marchandises soumises au bazar du monopole en série? Plus important encore, comment expliquer qu’une grande partie de ces victimes silencieuses de vols de la part de leur classe dirigeante aient réélu les mêmes figures qui s’acharnent à paupériser la population?

À ce titre, il conviendrait de tenir ces personnes pour responsables d’avoir voté pour les mêmes corrompus et reconduit de la sorte les mêmes partis au pouvoir, au lieu d’exercer leurs devoirs de citoyens, en termes de choix de leurs représentants, et de ne pas se rendre complice du régime en place contre les plus faibles qu’eux.

Peut-être faut-il creuser davantage du côté de la nature même des Libanais qui, consciemment ou non, contribuent à leur descente en enfer, comme s’ils étaient détachés de leurs propres souffrances. Ce qui se passe aujourd’hui dans le pays confirme que les corrompus parmi les partis du pouvoir se font aider, dans une sorte de sale complicité, de Libanais qui semblent faciliter, consciemment ou pas, les stratégies de pillage et de partage des parts, contribuant ainsi à perpétuer un fléau qui leur enlève toute humanité.

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