Les autorités libanaises gardaient un mutisme absolu jeudi, au lendemain du discours belliqueux du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui avait brandi mercredi la menace d’une guerre si jamais les droits du Liban au niveau de l’exploitation de ses ressources gazières dans sa Zone économique exclusive ne sont pas reconnus par les États-Unis et Israël. Un mutisme timidement rompu à la mi-journée par le président Michel Aoun, qui a affirmé devant ses visiteurs son attachement à la souveraineté du Liban et au droit du Liban à exploiter ses ressources gazières. Pas un mot cependant sur l’immixtion du chef du Hezbollah dans une affaire du seul ressort des autorités libanaises. C’est son gendre, Gebran Bassil, le chef du CPL fondé par le président, qui a pratiquement applaudi à l’équation posée par Hassan Nasrallah dont les propos ont soulevé une vague d’indignation dans les milieux souverainistes, où l’on a fustigé en particulier la légèreté avec laquelle il a abordé la menace d’une guerre, surtout lorsqu’il a annoncé que "ceux qui mourraient à cette occasion seraient considérés comme des martyrs".

Gebran Bassil a ainsi donné raison au chef de la formation pro-iranienne dans la mesure où il a considéré, sur son compte Twitter, que celle-ci peut " effectivement représenter un atout pour le Liban ", dans le cadre des pourparlers avec Israël, " pour qu’il puisse faire valoir ses droits, extraire son gaz et délimiter sa frontière " maritime sud avec l’Etat hébreu. " Nous voulons préserver notre dignité nationale et notre souveraineté ", a-t-il ajouté, avant d’interpeller les Israéliens: " Vous voulez votre gaz? Nous voulons aussi le nôtre ".

Du côté des souverainistes, on a surtout mis l’accent sur le danger que représente, encore une fois pour le Liban, l’escalade verbale du Hezbollah. Le chef du PSP, Walid Joumblatt, a ainsi estimé que le discours de Hassan Nasrallah, a "barré la voie à toute possibilité de songer même à un compromis autour de la ligne 23" dans les négociations indirectes entre Israël et le Liban sur la délimitation des frontières dans le cadre de la prospection gazière en Méditerranée. "Le Liban a fait son entrée de ce fait dans la guerre russo-ukrainienne, mais pour éviter qu’elle n’éclate, le sayyed devrait peut-être nous préciser ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas", a-t-il ironisé sur son compte Twitter. Et de poursuivre: "C’est mieux que de perdre notre temps dans des spéculations alors que les réserves en devises de la Banque du Liban fondent de jour en jour".

Le chef du parti Kataëb, Samy Gemayel, a fustigé à son tour le secrétaire général du Hezbollah "qui s’est une nouvelle fois autoproclamé à la fois chef du gouvernement et commandant en chef de l’armée, entraînant le peuple Libanais dans une nouvelle aventure dont il sera le seul, malgré lui, à payer le prix", a-t-il écrit sur Twitter. Interpellant les officiels libanais, il leur a lancé: "Et vous, où êtes-vous? Quel est l’objet de vos querelles? Quelle présidence? Quel gouvernement?", laissant ainsi entendre que les deux institutions brillent par leur absence alors que le chef d’une milice s’apprête à engager le Liban dans une guerre dont il n’a que faire.

Député du Metn, le député Elias Hankach (Kataëb) a écrit sur son compte Twitter: "Nous ne voulons pas de guerre. Nous ne voulons pas être des martyrs. Nous voulons produire, créer, vivre en paix et planifier pour un futur meilleur…. pour lequel nous oeuvrerons".

Le député Saïd el-Asmar (Forces libanaises) a insisté sur le fait que la décision de guerre et de paix relève des seules autorités libanaises. "Ce n’est pas à vous de décider de quelle mort la population libanaise doit mourir", a-t-il écrit sur son compte Twitter, en rappelant que "les armes de Hassan Nasrallah sont la principale cause de l’effondrement du Liban, qui est passé d’un pays ouvert à un pays isolé" à l’échelle internationale. "Concentrez-vous sur la lutte contre la corruption et cessez de la couvrir avec vos armes. Laissez l’Etat faire son travail", a-t-il ajouté, avant de conclure: "Vous ne faites peur qu’à très peu de gens. Ceux que vous n’effrayez pas sont en revanche très nombreux", a conclu le parlementaire.

L’ancienne ministre May Chidiac s’est déchaînée pour sa part contre le chef du Hezbollah: "Pouvez-vous nous laisser en paix et permettre à la diplomatie faire son travail? Pouvez-vous arrêter de hâbler, de décider à notre place que notre mort vaut mieux (…) et de nous préparer à une guerre en juillet ou en août? Qui vous a donné le droit de voler notre avenir, sous prétexte de résistance ou autre? a-t-elle écrit sur Twitter, sur un ton familier qui reflétait toute son exaspération.

"2002 n’est pas 2006, a-t-elle poursuivi sur le même ton. Comment se fait-il que tout d’un coup, tout le monde vous a mal compris et vous n’avez plus besoin de consensus. Notre vie n’est pas l’otage de vos intérêts, l’Iran et vous. Notre Liban ne vous ressemble pas et ne ressemble pas à votre hymne du Mehdi". Des vidéos de cet hymne entonné en iranien par des écoliers libanais dans les régions sous contrôle du Hezbollah, à l’occasion de l’Adha, avaient suscité une vague de réactions choquées sur les réseaux sociaux. Le chant entonné en iranien a été considéré comme une aliénation de la culture libanaise.

L’ancien député Farès Souhaid, secrétaire général du Rassemblement de Saydet el-Jabal, a accusé le secrétaire général du Hezbollah de "conduire le Liban en enfer". "Allez-y seul et laissez-nous tranquilles", lui a-t-il lancé sur son compte Twitter, avant d’ajouter: "Nous n’avions pas pu supporter une guerre que vous aviez provoquée sans nous consulter, alors que le dollar était à 1.500 livres. Nous ne supporterons pas une guerre que nous rejetons alors que le dollar est à 30.000 livres".

Le député Raji Saad (indépendant) s’est pour sa part dit dérouté, non sans ironie, par les propos du chef du Hezbollah. " Nous ne savons plus où donner la tête avec lui. Se tient-il derrière ou devant l’État et bloque-t-il ses négociations? " s’est-il interrogé sur Twitter. " Ses propos hier (mercredi) n’étaient pas Libanais. Ils trahissaient une escalade qui nuit au Liban au profit de l’Iran. Nous sommes convaincus que l’État libanais est le seul responsable des intérêts des Libanais, à travers les pourparlers qu’il mène. Personne parmi nous ne s’en est remis au chef du Hezbollah pour qu’il décide à notre place et qu’il nous entraîne dans une guerre ".