L’impasse politique est totale en Irak. Dix mois après des élections législatives qui n’ont pas permis de désigner un nouveau Premier ministre, des centaines de manifestants ont envahi le 27 juillet le Parlement, nouveau coup d’éclat de l’influent mais imprévisible leader chiite Moqtada Sadr.

Dans un Irak paralysé par une crise politique depuis plusieurs mois, des centaines de manifestants ont brièvement envahi le Parlement, nouveau coup d’éclat de l’influent mais imprévisible leader chiite Moqtada Sadr, qui accentue la pression sur ses adversaires.

Dix mois après les élections législatives d’octobre 2021, l’impasse est totale et le pays attend toujours la désignation d’un nouveau Premier ministre.

Dans un Irak multiconfessionnel, le poste de Premier ministre revient traditionnellement à un Chiite, généralement choisi par consensus par les principaux partis se partageant le pouvoir.

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Des centaines de manifestants ont envahi le Parlement (AFP)
Moqtada Sadr, faiseur de roi

Faiseur de roi et trublion de la scène politique, Moqtada Sadr avait décidé de changer la donne après les législatives. Première force du Parlement avec 73 députés, le courant sadriste voulait nommer le Premier ministre et former un gouvernement de " majorité " avec ses alliés.

Mais en juin, dans un de ces revirements dont il a l’habitude, M. Sadr a fait démissionner ses élus, abandonnant à ses adversaires la tâche de former un gouvernement, en l’occurence le " Cadre de coordination ", alliance de factions chiites pro-Iran regroupant la formation de l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki et les représentants du Hachd al-Chaabi, ex-paramilitaires intégrés aux forces régulières.

Ce camp politique a annoncé lundi 25 juillet la candidature de Mohamed Chia al-Soudani au poste de Premier ministre. Cet ancien ministre et ex-gouverneur de province âgé de 52 ans, issu du sérail, est aussi considéré par les Sadristes comme étant étroitement lié à M. Maliki, ennemi historique de M. Sadr.

Pour rejeter la candidature de M. Soudani, des centaines de partisans de Moqtada Sadr ont envahi mercredi 28 juillet le Parlement, pénétrant dans la zone verte très sécurisée qui abrite des institutions gouvernementales et ambassades.

Message de cette irruption: M. Sadr informe ses adversaires " qu’il n’y aura pas de gouvernement (…) sans son accord ", estime le politologue Ali Al-Baidar.

" Via les masses, il signifie qu’il est un joueur actif du paysage politique, que tous doivent respecter ses positions et ses opinions, que rien ne peut se faire sans la bénédiction de Sadr ", ajoute-t-il.

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L’instabilité politique est totale depuis dix mois (AFP)
Contrecarrer ses adversaires

Pour Renad Mansour, du centre de réflexion Chatham House, M. Sadr montre à ceux qui sont impliqués dans la formation du gouvernement " qu’il a le pouvoir de la rue ".

" Il espère utiliser ce pouvoir pour contrecarrer les tentatives de ses adversaires de former un gouvernement ", ajoute-t-il.

" Ce sera le processus de formation d’un gouvernement le plus long " qu’ait connu le pays, pronostique-t-il.

M. Sadr n’en est pas à son premier coup d’éclat. Fort de son assise populaire, il avait mobilisé à la mi-juillet des centaines de milliers d’Irakiens pour une prière collective du vendredi à Bagdad.

" Aucune des parties n’est disposée à faire des concessions, on se dirige vers plus d’escalade ", estime M. Baidar.

Concernant le choix du Premier ministre, " le Cadre de coordination risque d’être affaibli s’il présente un candidat alternatif pour satisfaire M. Sadr ", justifie-t-il.

Rivalités internes

Renad Mansour pointe toutefois les " divisions et nombreuses rivalités internes " au sein de cette coalition.

" Certains s’inquiètent même de travailler sans Sadr et de former un gouvernement sans lui ", souligne-t-il, pointant du doigt la crainte de voir les manifestations ou coups d’éclats des Sadristes " devenir une réalité pour un quelconque futur gouvernement ".

Désormais, de plus en plus de voix s’élèvent pour évoquer l’éventualité d’élections législatives anticipées, qui permettraient de rebattre les cartes en élisant un nouveau Parlement de 329 députés.

" Les Sadristes espèrent qu’en se présentant comme une force d’opposition plutôt qu’un parti de gouvernement ils peuvent attirer plus d’électeurs ", estime M. Mansour.

L’alternative serait de voir l’activité du Parlement paralysée par l’instabilité politique qui met à l’arrêt le travail législatif, explique le professeur des sciences politiques à l’Université de Bagdad, Ihsan al-Shammari.

" Une partie de la stratégie de M. Sadr est d’assiéger le Parlement ", ajoute-t-il, évoquant notamment la possibilité de voir les Sadristes y organiser un sit-in ou lancer une campagne de " désobéissance civile ".

Envahir le Parlement, " ce n’est qu’un premier pas ", avertit M. Shammari: " Le message est clair, Sadr et ses partisans sont prêts à aller plus loin que cela ".

Avec AFP