Au terme de 24 heures d’affrontements qui ont fait plusieurs dizaines de morts, le calme est revenu dans les rues de Bagdad et dans les régions irakiennes à majorité chiite. A la faveur d’un discours qu’il a prononcé pour demander à ses partisans de se retirer de la "zone verte", le leader chiite Moqtada Sadr a confirmé une fois de plus son autorité et sa capacité à jouer la carte de la rue en l’enflammant puis en la calmant comme bon lui semble. Le retour à la vie normale n’exclut pas le fait que l’Irak est sur un volcan au bord de l’éruption qui risque à tout moment d’embraser le pays dans un conflit qui peut se prolonger. À ce stade, la crise politique reste entière et nul ne peut prévoir l’issue. Ces 24 heures d’affrontements ont démontré la profondeur du fossé qui sépare les deux protagonistes.

Des partisans du leader chiite Moqtada Sadr se retirent de la Zone verte à Bagdad (AFP)

 

Moqtada Sadr, qui a réussi un tour de force durant ces 24 heures, n’a toujours pas obtenu gain de cause quant à son exigence : la dissolution du Parlement et la tenue d’élections législatives anticipées. Il n’est toujours pas clair, voire grandement improbable, que le "cadre de coordination", le regroupement des factions pro-iraniennes, accèderont à sa demande, de quoi lui offrir une victoire politique sans appel. Favorable à un gouvernement de majorité et non d’union nationale récurrente depuis le renversement de Saddam Hussein en 2003, il s’agrippe farouchement à ses conditions, ne bénéficiant pas d’une majorité absolue à l’Assemblée.

Quant à l’autre volet de la crise concernant les relations entre Moqtada Sadr et Téhéran, on ignore toujours jusqu’où ira le leadership iranien dans sa tentative de déstabiliser le courant sadriste de manière à consolider son influence religieuse au détriment du marjaa (l’instance religieuse) de Najaf. Cette dernière, sous la haute autorité de l’ayatollah Ali Sistani, est restée muette tout au long des affrontements meurtriers de lundi. Elle n’a en effet rendu publique aucune réaction quant au communiqué de l’ancien marjaa Kazem Al-Hairi, guide spirituel du courant sadriste, qui avait appelé ses partisans à suivre les directives de l’autorité de l’ayatollah Ali Khamenei à Qom. En tout état de cause, la position du marjaa suprême irakien Ali Sistani et son plan pour tenter de stopper la descente aux enfers demeurent un mystère absolu.

Moqtada Sadr demande à ses partisans de se retirer de la "zone verte" (AFP)

 

Selon Abbas Kadhim, chercheur à l’Atlantic Council de Washington "il n’y a pas de motif urgent pour faire une annonce (celle de l’ayatollah Hairi) aussi controversée à un moment si critique […]. Il est évident que l’annonce, compte tenu de son timing et de sa formulation, peut être considérée comme ayant été induite ou adoptée sous contrainte par les dirigeants de son pays de résidence, l’Iran ". M. Kadhim rappelle que "l’ayatollah Sistani est le principal marjaa en Irak", remettant quelque peu en cause les directives de l’ayatollah Hairi. Ce sujet réellement incendiaire risque de dégénérer et de réenflammer la rue dans un nouveau bain sanglant intra-chiite.

Les dissensions politiques, à première vue caractérisées par la fragmentation du camp chiite, peinent à éclairer l’horizon d’un l’Irak dont l’avenir demeure très incertain. Les observateurs s’accordent à dire que les risques d’une guerre civile d’abord intra-chiite puis susceptible de déboucher sur un débordement, est une probabilité sérieuse. Le clash oppose désormais le chiisme arabe irakien cherchant à s’émanciper et se défaire de la mainmise iranienne et le chiisme perse voulant consolider son influence décroissante. À travers la démission de l’ayatollah Hairi, le leader chiite Moqtada Sadr fait du déclin de l’influence iranienne sa lutte : une guerre déclarée sous l’égide du chiisme arabe afin de se libérer d’une emprise devenue étouffante.

Il est important de rappeler que les dirigeants iraniens se ventent depuis des années d’avoir contrôlé quatre capitales arabes : Bagdad, Damas, Beyrouth, et Sanaa. L’Iran considère son influence régionale comme primordiale car cette mainmise joue le rôle d’un bouclier qui préserve la pérennité du régime. C’est pour cette raison que le leadership iranien est attaché à son influence sur la scène politique irakienne et tente, tant bien que mal, de s’affirmer et de renforcer son rôle politique et religieux.

Des partisans de Moqtada Sadr pénètrent dans la Zone verte (AFP)

 

Parallèlement, le chef du gouvernement démissionnaire Moustapha Al-Kazemi a souhaité la tenue d’un dialogue national pour tenter de mettre un terme à cette crise au bord de l’implosion. La question est de savoir si Moqtada Sadr acceptera, une fois de plus, des négociations avec les factions pro-iraniennes qu’il accuse d’être responsable du blocage politique et du manque de réformes ? Il est très improbable que M. Sadr cède à l’appel au dialogue, estimant que c’est un moyen de diversion pour tenter de le dévier sur la voie d’un consensus avec les partis pro-iraniens.

Désormais, la rue s’est calmée mais cette même rue reste en ébullition vu que l’Irak vit sous le poids de crises multiples superposées : politique, économique, social, pouvoir religieux et une corruption sans pareil. La crise reste entière, les appels au dialogue se multiplient. Cependant, aucune solution crédible n’est avancée. Les observateurs restent alors très sceptiques et prudents : le risque de débordement est présent et un bain de sang demeure une hypothèse plausible.

Il est alors légitime de se poser la question : Ces 24h d’affrontements meurtriers vont-ils induire un nouveau rapport de force entre les deux protagonistes ?