Pour Alexandre Zlodeev, ancien mercenaire du groupe Wagner, il n’y a pas de doute que la compagnie paramilitaire soit l’œuvre du ministère russe de la Défense.  Wagner, dont la présence est documentée en Syrie, en Libye, en Ukraine, en Centrafrique et au Mali, a été créée par Evguéni Prigojine, homme d’affaires proche du Kremlin, fin 2014. Moscou a toujours démenti avoir des liens avec des groupes paramilitaires. 

Le groupe Wagner aurait été créé par le ministère de la Défense, et plus précisément par les services de renseignements militaires. (AFP)

 

 

Dans le Donbass en Ukraine, puis en Syrie, Alexandre Zlodeev a servi plusieurs années au sein du groupe Wagner. Pour l’ancien mercenaire, qui demande l’asile politique en France, cette société paramilitaire russe, créée en 2014, a dès le départ été voulue et équipée par les autorités russes.

" J’étais présent au moment de la création de cette organisation ", affirme Alexander Zlodeev, 53 ans, rencontré par l’AFP lundi au Centre d’accueil des demandeurs d’asile politique, sur le site de l’aéroport parisien Roissy-Charles de Gaulle.

Autorisé jeudi à entrer sur le territoire après être arrivé en France le 12  octobre, cet homme mince, aux yeux clairs et cheveux gris courts, se souvient d’être entré au sein du groupe Wagner entre 2014 et 2015, au moment du déclenchement du conflit dans le Donbass, opposant les troupes loyalistes ukrainiennes aux forces séparatistes prorusses.

Le groupe Wagner est aujourd’hui présent au Mali et en Centrafrique, à la suite du recul français dans ces deux pays. (AFP)

 

 

À l’époque, il était, selon ses dires, l’un des organisateurs de la Marche russe, rassemblement annuel de groupuscules d’extrême droite ou monarchistes. L’AFP n’a pas été en mesure de vérifier la véracité de ses déclarations.

" On a reçu l’information selon laquelle dans le Donbass, dans la région de Lougansk, on tuait des Russes parce qu’ils parlaient russe. On est donc allé défendre les Russes. Là-bas, on nous a remarqués et on nous a proposé d’intégrer Wagner ".

Il l’assure, toutefois, il n’a pas combattu : " Je travaillais au quartier général, devant un ordinateur, dans un bureau en charge de l’administration des troupes ", précise-t-il.

L’armée de l’ombre de Poutine 
Marat Gabidullin est le premier membre de ce groupe paramilitaire à avoir pris la parole à visage découvert, en 2022. (AFP)

 

 

Wagner, dont la présence a été documentée ces dernières années en Syrie, en Libye, en Ukraine, en Centrafrique et au Mali, est perçu par ses détracteurs comme l’armée de l’ombre du président russe Vladimir Poutine, promouvant les intérêts de Moscou en fournissant des combattants, mais aussi des instructeurs militaires et des conseillers.

Le groupe est accusé de nombreuses exactions – notamment contre des populations civiles – par l’ONU, des États occidentaux et des ONG.

Evguéni Prigojine, un homme d’affaires proche du Kremlin, a reconnu fin septembre avoir fondé en 2014 le groupe paramilitaire, le qualifiant de " pilier " de la défense des intérêts russes, même si Moscou a toujours démenti avoir des liens avec des groupes paramilitaires.

" L’organisation a été créée par le ministère de la Défense. (…) Le GRU (renseignement militaire russe, NDLR) a donné la responsabilité de Wagner à Prigojine pour qu’il s’en occupe ", affirme sans ambages M. Zlodeev, expliquant qu' "il n’existait pas d’organisation pouvant résoudre certains problèmes par des moyens militaires en dehors du territoire russe ".

Aux débuts de Wagner, " il y avait des gens entraînés qui savaient ce qu’ils faisaient. Des militaires professionnels, certains qui avaient combattu en Tchétchénie, des anciens officiers du ministère de la Défense ", se remémore M. Zlodeev.

" Tous les uniformes militaires, on les recevait directement des entrepôts des services spéciaux du GRU. On recevait de très bons uniformes ", de même que des salaires, en espèce, également versés par le GRU, assure-t-il.

Quelques mois plus tard, il est envoyé en Syrie où Wagner, toujours en étroite collaboration avec les forces russes sur place, participe cette fois à de rudes combats face au groupe État islamique et y essuie des pertes élevées.

Des dissensions internes
Le Kremlin continue de nier tout lien avec des groupes paramilitaires. (AFP)

 

 

Affecté à l’état-major de Wagner, il affirme être régulièrement en contact avec Evguéni Prigojine lui-même.

" J’ai parlé avec lui au téléphone, en Syrie au moment de la première prise de Palmyre. Les pertes étaient grandes. Il a appelé. Au siège, on devait connaître ce type d’information minute par minute, seconde par seconde ", raconte-t-il.

Fait notable, des tensions apparaissent à cette époque entre Prigojine et le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou, sur fond de lutte d’influence : " Lorsque Wagner a libéré Palmyre pour la première fois, et que Poutine a fait l’éloge de Wagner, Choïgou n’a pas beaucoup apprécié et après cela, des conflits ont commencé ", affirme M. Zlodeev, ajoutant que " l’approvisionnement est devenu très mauvais et les armements ont commencé à être beaucoup moins bien fournis ".

Mais l’aventure Wagner finit par tourner court pour M. Zlodeev : " J’ai souvent répété qu’il y avait trop de pertes (…) c’est arrivé jusqu’au haut commandement au quartier général, on m’a viré ", affirme-t-il.

Selon son avocate française contactée par l’AFP, l’ex-mercenaire quitte la société aux alentours de 2017 et se rapproche de l’opposant Alexeï Navalny, figure de proue de l’opposition à Vladimir Poutine et militant résolu de la lutte contre la corruption, aujourd’hui emprisonné.

Celui qui se dit aujourd’hui " contre la guerre " en Ukraine dit avoir milité sur les réseaux sociaux contre l’invasion russe, avec toutefois peu d’effet : " À l’intérieur de la Russie, je ne peux pas me battre comme il le faudrait, c’est pourquoi j’ai décidé de partir ".

M. Zlodeev, qui avait déjà obtenu l’asile politique en France en 2003 avant de repartir en  Russie en 2010, dit avoir trois enfants citoyens français en France.

Avec AFP