L’information concernant l’abolition de la police des mœurs par le régime iranien tient davantage d’une opération de communication à l’international que d’une réelle volonté réformatrice d’un régime qui, dans les faits, est en train de se radicaliser.

L’annonce de la suppression de la police des mœurs en Iran, le dimanche 4 décembre 2022, a été rapidement relayée par les médias du monde entier. En parallèle, une autre information, selon laquelle une réforme de la loi sur le port du voile obligatoire était à l’étude, commençait à circuler dans le sillage de la première.

La police des mœurs a sa propre organisation et ses sinistres véhicules blanc et vert. (Wikimédia Commons)

 

Dans le contexte de la répression brutale visant la contestation qui secoue l’Iran depuis près de trois mois, l’évocation d’une réforme apparaît comme un signal d’apaisement de la part du régime. La source de cette information provient du site de l’agence de presse iranienne Isna. Celle-ci affirme reprendre une information dévoilée par le bureau du Procureur général  Mohammad Jafar Montazeri.

Si elle a d’abord pu susciter certains espoirs dans le monde, cette annonce fut surtout rapidement mise en doute par un nombre croissant d’experts et d’opposants. Qu’en est-il réellement ? L’analyse du caractère officiel de cette information et, surtout, sa portée effective, c’est-à-dire à qui elle est destinée, permettra de voir plus clair.

La police de la moralité

La police de la moralité, ou Gasht-e Ershad en persan (littéralement: patrouille d’orientation), fut créée en 2005 sous l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad. Elle constitue l’un des organismes remplaçant les anciens comités de la révolution islamique. Relevant du ministère de l’Intérieur iranien, il ne s’agit pas d’une force de sécurité à part entière, mais plutôt d’une branche des forces de l’ordre de la République islamique, plus connues sous l’acronyme NAJA.

 

Son rôle principal consiste à s’assurer que les codes vestimentaires édictés par le régime des mollahs sont respectés par la population, pour ne pas dire les femmes. Selon un article publié par The Economist en 2013, une patrouille typique de cette force est composée d’un officier conduisant un van, accompagné de plusieurs femmes auxiliaires revêtant le tchador, le vêtement recommandé par le régime pour les Iraniennes.

Ces femmes sont notamment chargées d’embarquer de force dans le véhicule toute contrevenante, considérée comme récalcitrante. Les malheureuses sont ensuite emmenées en centre de correction, à l’image du tristement célèbre centre de Vozara à Téhéran. C’est l’une de ces patrouilles qui a arrêté et mis en détention la jeune femme kurde Mahsa Amini le 16 septembre 2022, avant qu’elle ne soit ensuite transférée à la NAJA.

Manque de crédibilité

L’information sur une possible réforme de la loi sur le voile, dévoilée par l’agence de presse Isna, ne se base pas sur un communiqué officiel du procureur général Montazeri, mais sur un discours que celui-ci a prononcé au cours d’une conférence dans la ville de Qom.

La journaliste Ghazal Golshiri, travaillant pour Le Monde, rapportait le même jour les éléments de langage utilisés par Montazeri dans une série de tweets : " La police des mœurs n’a rien à voir avec le pouvoir judiciaire et elle a été abolie par l’organisation qui l’a mise en place. La justice va continuer à surveiller la société et elle est préoccupée par le mauvais port du hijab à Qom. "

Au regard des éléments de discours ainsi dévoilés, il devient évident que l’information selon laquelle la mesure a été décidée par le gouvernement iranien a été galvaudée. D’emblée, et comme le procureur l’affirme, cela ne relève pas de son pouvoir: en Iran, les forces de police, dont la NAJA, relèvent avant tout des forces armées, même si elles sont placées sous le contrôle du ministère de l’Intérieur.

Il s’agit donc d’une branche distincte du pouvoir judiciaire, à la tête duquel se trouve le procureur général. Par conséquent, ses propos autour du port du hijab démontrent bien qu’une réforme relative aux questions de moralité n’est pas à l’ordre du jour. Surtout, l’information n’a été reprise par aucun organisme officiel jusqu’à présent. Il est donc impossible, en l’état, de pouvoir confirmer de telles mesures.

Améliorer l’image sans réformer

Toutefois, cela ne signifie pas qu’elle est dénuée d’intérêt pour le régime. Car ce fait, que l’on pourrait qualifier d’anodin au regard de la situation dans laquelle se trouve actuellement la population iranienne, prend une autre signification à l’étranger.

En effet, le caractère non-officiel des déclarations de Montazeri n’a sans doute eu qu’un impact relatif pour ceux qui sont en mesure de comprendre son discours. En revanche, une information sortie de son contexte, portant sur une caractéristique particulièrement dépréciée du régime des mollahs, ici la police des mœurs, peut trouver un écho beaucoup plus important auprès d’oreilles potentiellement néophytes.

C’est typiquement le cas au sein des pays occidentaux et autres détracteurs de la République islamique. Plusieurs grands titres, notamment le New York Times, furent particulièrement prompts à relayer la nouvelle, avant de temporiser par la suite. À l’inverse, on ne retrouve que peu, sinon aucune information à ce sujet, publiée hors d’Iran, mais acquises à son influence. Par exemple, la chaîne libanaise Al-Manar, porte-voix du Hezbollah, n’a publié jusqu’à présent aucun article en ce sens.

Le réel but de cette annonce consiste donc moins à montrer des gages d’ouverture en direction d’une voie réformatrice, que de redorer le blason de Téhéran à l’étranger en faisant croire à une volonté d’apaisement. Pour activer cette opération de communication, le régime a notamment pu s’appuyer sur ses relais informels à l’étranger, notamment aux États-Unis, à l’image du National Iranian American Commitee: un lobby régulièrement dénoncé pour sa collusion avec le régime.

Entretenir la confusion pour mieux réprimer

Toutefois, la propagation d’une telle fausse nouvelle peut aussi avoir une utilité à l’intérieur même des frontières iraniennes. La publication de Isna a été révélée la veille d’une grève générale annoncée plusieurs jours en amont. Sous cet angle, l’objectif consisterait alors à entretenir une certaine confusion pour décourager les protestataires à suivre le mouvement de grève.

(AFP)

 

Mais cela est-il efficace ? Au-delà des rapides réactions d’activistes visant à démentir l’infox, il apparaît qu’une hypothétique suppression du voile obligatoire n’arrêtera sans doute pas les protestataires. On dénombre plus de 448 morts (le chiffre réel étant certainement beaucoup plus élevé) et près de 18.200 arrestations, sans parler des pratiques d’internement dont l’utilisation du viol comme arme de terreur contre les manifestantes. Il apparaît par conséquent, que la contestation a déjà dépassé le point de non-retour.

Les protestataires ne souhaitent plus la réforme du système, mais bien sa chute dans son intégralité. Cela paraît encore plus évident concernant la question du voile obligatoire: les Iraniennes transgressent désormais quotidiennement ce diktat de la République islamique. Il paraît peu probable d’observer un retour à la normale si le mouvement venait à s’essouffler.

(AFP)

 

Même si l’hypothèse de l’abolition du Gasht-e Ershad s’avérait finalement fondée, cela ne changerait fondamentalement rien en soi. Si elle semble singulière par ses caractéristiques, la police de la moralité n’en reste pas moins l’un des nombreux instruments répressifs de l’appareil sécuritaire au service du régime des mollahs. Si elle disparaissait, les autres agences combleraient immédiatement le vide, puisque dans les faits, elles réalisent déjà le même travail.

Finalement, cet épisode permet surtout de démontrer un fait: l’actuel régime est aux abois. Celui-ci cherche à défendre sa position par tous les moyens possibles face à un mouvement dont il n’avait anticipé ni l’ampleur, ni la résilience. Au regard des derniers développements, il faut donc comprendre l’inverse de ce que peut prétendre l’agence Isna: la République islamique se radicalise davantage dans la répression plutôt que de prendre la voie des réformes.