Au Royaume-Uni, la crise de l’énergie et les prix qui augmentent impactent en premier lieu les plus démunis. Ceux qui croulent sous les dettes ont été contraints par les fournisseurs d’énergie, d’installer des compteurs prépayés. S’ils ne les rechargent pas, pas d’électricité pour eux. Autant dire que l’hiver risque d’être difficile. 

 

Dans un quartier du nord de Londres, un froid glacial enveloppe les maisons mitoyennes et les voitures couvertes de neige. Dans le salon de Samantha Pierre-Joseph, 40 ans, une petite soufflerie réchauffe l’air ambiant. Dans le reste du logement, le chauffage est éteint.

En raison d’une dette d’environ 1 800 livres (plus de 2 000 euros) qu’elle conteste, son fournisseur d’énergie l’a récemment basculée d’office sur un compteur prépayé: elle ne peut consommer de l’électricité ou du gaz qu’après avoir payé, et cela lui revient plus cher qu’avant.

Il y a quelques semaines, " je suis rentrée de courses et j’ai regardé mon compteur ", un nouvel appareil connecté. " Il affichait un message qui disait +rechargez maintenant+ ", raconte-t-elle. Il restait environ 3 livres avant la coupure.

Samantha Pierre-Joseph, mère de 40 ans, a été contrainte d’accepter un compteur prépayé (AFP)

 

Plus de 4 millions de foyers dans le pays sont connectés via des compteurs prépayés.

Ce ne sont plus les compteurs à pièces d’autrefois, mais le plus souvent des compteurs connectés qui peuvent être rechargés en ligne (et convertis par les opérateurs à distance) ou des modèles plus anciens fonctionnant avec des crédits achetés dans un bureau de poste ou un petit commerce.

Tandis que les prix de l’énergie s’envolent cet hiver, ces clients " ont été les plus durement touchés " car ils se sont vus répercuter ces hausses " dès le premier jour ", déplore Peter Smith, un responsable de l’association de lutte contre la pauvreté énergétique NEA.

Des centaines de milliers de consommateurs supplémentaires, à la peine pour payer leurs factures, pourraient se retrouver cet hiver basculés sur ce type de compteurs, estiment plusieurs associations de défense des consommateurs.

Si les opérateurs coupent rarement le courant pour impayés, le vrai risque, c’est le passage au prépayé et donc " l’auto-déconnexion: les ménages n’ont tout simplement plus les moyens de recharger leurs compteurs d’énergie et arrêtent de consommer ", décrit M. Smith.

Dans sa maison où elle vit avec sa fille de 20 ans, Mme Pierre-Joseph compte désormais chaque livre d’électricité ou de gaz qu’elle utilise. À part le réfrigérateur, " les appareils ménagers sont éteints la plupart du temps ".

Un sapin de Noël trône dans un coin, mais les guirlandes lumineuses restent éteintes. Elle ne chauffe qu’une pièce et essaie de toujours cuisiner pour deux jours, pour économiser sur la cuisson.

Chez Samantha Pierre-Joseph, le thermostat est éteint la plupart de la journée (AFP)

 

Malgré ces efforts, " je recharge chaque semaine " au moins 60 livres, estime-t-elle, pianotant sur l’écran tactile de son compteur.

L’Ofgem, le régulateur britannique de l’énergie, juge la situation " totalement inacceptable " avec l’hiver " très difficile " qui se profile. Il a récemment rappelé les fournisseurs d’énergie à leur obligation d’un contrôle équilibré de la situation des clients avant de les basculer sur un compteur prépayé.

" Dans certains cas extrêmes, (…) certains clients vulnérables se sont retrouvés sans électricité pendant des jours, voire des semaines ", a fustigé l’Ofgem dans une déclaration transmise à l’AFP.

Certains parlementaires d’opposition ont appelé le gouvernement à suspendre ces conversions de compteurs.

Mme Pierre-Joseph dénonce une situation " très injuste ". Elle a fini par céder et rembourser la dette réclamée, mais espère en obtenir le remboursement. " Ce sont toujours ceux qui ont le moins d’argent qui finissent par payer davantage. "

Et puis, " il y a cette anxiété, après avoir rechargé, vous pouvez voir que littéralement l’argent s’écoule, s’écoule, s’écoule ", raconte cette psychothérapeute de profession qui voit ainsi englouties ses quelques économies.

Les prix de l’énergie, tirés vers le haut notamment par la guerre en Ukraine, poussent l’inflation à des sommets au Royaume-Uni: elle frôle 11% et cause une sévère crise du coût de la vie.

Mme Pierre-Joseph est loin d’être la seule à se priver. Plus de trois millions de familles n’ont pas les moyens de se chauffer et parmi elles, environ 710 000 ménages ne peuvent pas non plus se permettre des vêtements chauds ou suffisamment de nourriture, selon une étude de la Fondation Joseph Rowntree.

Le gouvernement a mis en place des aides à l’énergie, mais les deux millions d’utilisateurs de modèles anciens de compteurs prépayés doivent faire la démarche de demander des bons pour en bénéficier.

" Environ 40% d’entre eux n’ont pas récupéré l’aide " qui pourrait pourtant " fournir un soutien absolument vital pour garder les gens au chaud cet hiver ", déplore M. Smith de la NEA.

Avec AFP