Une loi fédérale américaine, votée pour des motifs sanitaires à la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui a permis depuis mars 2020 d’expulser plus de 2,5 millions de personnes des États-Unis et d’en bloquer des centaines de milliers d’autres au nord du Mexique ? C’est le Titre 42, une loi dont l’application pourrait être prolongée par une décision de la Cour suprême américaine. Une décision qui atterre les milliers de migrants, en majorité vénézuéliens, bloqués à la frontière entre les États-Unis et le Mexique.

 

Maxime Pluvinet 

Des milliers de migrants, principalement des Vénézuéliens, sont bloqués face au si mal nommé " Mur de Trump " qui sépare les États-Unis du Mexique (sa construction débute en 1994 avec… des débris de la Guerre du Golfe et celle du… Vietnam). Ce mur, que l’écrivain espagnol Javier Cercas décrit comme " la confrontation quasi-physique entre le monde de la misère et le monde de la prospérité " n’est pourtant pas le principal obstacle qui empêche de pénétrer aux États-Unis. Une loi fédérale américaine, le Titre 42, est en effet à l’origine d’une attente fin des migrants arrivés au pied du " rêve américain ".

 

Un migrant vêtu du drapeau vénézuélien observe le mur frontalier entre les États-Unis et le Mexique. (AFP)
Dura lex

" Nous sommes des êtres humains, nous sommes en chair et en os! Comment expliquer cela aux juges et aux gouverneurs ? " tonne Juan Delgado. Vêtu d’un simple pull, le trentenaire doit affronter le mercure avoisinant le 0°C à Ciudad Juarez, une ville frontalière qui borde le mur longeant le Texas.

À l’instar de milliers de migrants, en majorité Vénézuéliens, Juan Delgado espérait pouvoir franchir légalement la frontière pour demander l’asile aux États-Unis, à la faveur de l’annulation annoncée du Title 42. Cette mesure sanitaire datant de 1944 est au centre d’un long feuilleton judiciaire et politique: Donald Trump l’avait utilisé dès le début de la pandémie en 2020 pour fermer les postes-frontières aux personnes sans visa, y compris aux demandeurs d’asile.

 

 

 

 

Maintenue par l’administration Biden-Harris à leur arrivée au pouvoir en janvier 2021, cette mesure controversée avait été déclarée illégale par la décision du juge Emmet Sullivan en novembre dernier, et devait prendre fin mardi 20 décembre, à minuit. Mais à la dernière minute, la Cour suprême a ordonné lundi de maintenir ces restrictions, le temps qu’un recours d’urgence déposé par une vingtaine de gouverneurs républicains soit examiné.

Une décision qui ouvre la voie à une éventuelle prolongation du Title 42. " Pourquoi ne nous donnent-ils pas une chance ? ", se désole M. Delgado auprès de l’AFP. " Ils nous traitent comme des criminels, alors que nous voulons juste travailler. " À côté de lui, Edward Acevedo est abattu. Cet imbroglio judiciaire le plonge dans une " grande tristesse ". " Nous avons traversé la jungle, la faim et le froid. Beaucoup d’épreuves ", souffle ce Vénézuélien de 41 ans, qui partage un abri de fortune avec des dizaines de compatriotes, dans la maison d’un pasteur.

 

Des migrants à la frontière entre le Mexique et les États-Unis parlent avec des soldats américains à travers une clôture de barbelés, après que la Cour suprême des États-Unis a stoppé la suppression imminente de la mesure " Title 42 ". (AFP)
Exode vénézuélien

Face à la profonde crise politique et économique dans laquelle est enlisé le Venezuela, plus de 7 millions de Vénézuéliens ont quitté leur pays depuis 2015, selon l’ONU, soit 20% de la population de l’époque. S’ils émigrent en majorité vers d’autres pays d’Amérique latine, nombre d’entre eux s’embarquent dans un dangereux périple.

Une des étapes les plus périlleuses: le tampon du Darién qui implique notamment de braver la jungle, mais également les groupes criminels présents dans cette zone grise qui sert de porte d’entrée vers l’Amérique centrale. Au 30 septembre 2022, 151 582 personnes étaient entrées irrégulièrement par cette route, dépassant le chiffre déjà record de l’année 2021 (133 726). Au cours du seul mois de septembre, plus de 48 200 personnes en transit ont été enregistrées. Les Vénézuéliens représentaient 71 % de la population totale en déplacement au mois de septembre.

 

Dans le désert de l’Arizona, des migrants se présentent spontanément à la police des frontières américaines près d’une ouverture dans le mur rehaussé sous Donald Trump. (AFP)

 

Limbes mexicaines

À Ciudad Juarez, la misère dans laquelle subsistent les candidats à l’exil en dit long sur la détresse qui les meut. La plupart dorment à même le sol et allument des feux dans des poubelles pour se réchauffer. Malgré le froid, l’AFP a souligné que beaucoup tentent de traverser le fleuve Rio Grande, qui sépare le Mexique des États-Unis, avec leurs enfants sur les épaules. Les autres tentent de vendre des couvertures ou des gants pour survivre, quand ils ne se font pas kidnapper par les cartels.

" Nous sommes les oubliés, personne ne veut de nous ", soupire un Vénézuélien, qui souhaite rester anonyme. " Où que nous allions, nous dérangeons. " Pour tenter de diminuer cet afflux, Washington a lancé en octobre un programme humanitaire qui prévoit d’accueillir un quota de 24 000 Vénézuéliens arrivant directement par avion. En contrepartie, ceux qui arrivent par la terre, et qui étaient auparavant exemptés du régime d’exception instauré par le Title 42 à cause de la situation politique au Venezuela, subissent désormais cette mesure.

 

Maxime Pluvinet