Alors que l’attentat rue d’Enghien, au Xe arrondissement de Paris, a suscité une condamnation unanime, il met en lumière les revendications d’un peuple de 25 à 35 millions de personnes, éparpillé sur quatre pays, à l’histoire tâchée de sang. Encore aujourd’hui, le dossier kurde est l’un des nombreux axes de crispation dans les relations bilatérales entre Paris et Ankara.

 

 

Il se dit mu par une " haine pathologique " des étrangers, mais le retraité français qui a reconnu avoir tué trois Kurdes vendredi " garantir la sécurité " des Arméniens du Nagorny Karabakh

La marche en hommage aux victimes lundi a témoigné d’une douleur qui dépasse le fait-divers sanglant: les manifestants scandaient en kurde " Les martyrs ne meurent pas ". Et en français " Femmes, vie, liberté " – le slogan des femmes iraniennes. Ils réclamaient aussi " vérité et justice ", beaucoup évoquant l’assassinat en 2013 à Paris de trois militantes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), ennemi juré de la Turquie et considéré comme " terroriste " par Ankara et par l’Union européenne.

Coup de projecteur sur ce peuple sans État de 25 à 35 millions de personnes, éparpillé entre Irak, en Iran, en Syrie et en Turquie.

Un peuple sans État 
En majorité musulmans sunnites, avec des minorités non musulmanes et des formations politiques souvent laïques, les Kurdes sont établis sur près d’un demi-million de kilomètres carrés. (AFP)

 

 

En majorité musulmans sunnites, avec des minorités non musulmanes et des formations politiques souvent laïques, les Kurdes sont établis sur près d’un demi-million de kilomètres carrés.

L’effondrement de l’Empire ottoman à l’issue de la Première Guerre mondiale avait ouvert la voie à la création d’un État kurde. Mais après la victoire de Mustafa Kemal en Turquie, les Alliés étaient revenus sur leur décision.

En 1923, le traité de Lausanne avait consacré la domination de la Turquie, de l’Iran, de la Grande-Bretagne (pour l’Irak) et de la France (pour la Syrie) sur les populations kurdes.

Revendiquant la création d’un Kurdistan unifié, les Kurdes demeurent depuis, au gré des soubresauts de l’actualité internationale, perçus comme une menace pour l’intégrité territoriale des pays où ils sont installés. Mais aussi parfois comme des alliés temporaires de certaines puissances.

Les Kurdes, qui n’ont jamais vécu sous un pouvoir centralisé, sont en outre divisés en une myriade de partis et factions. Parfois transfrontaliers, ces mouvements sont souvent antagonistes, en fonction notamment des jeux d’alliances conclues avec les régimes voisins.

Pourchassés par la Turquie

 

 

En Syrie, les Kurdes ont adopté une position de neutralité au début de la guerre civile en 2011, avant de bénéficier du chaos et d’installer une administration autonome dans des régions du Nord.

Les combattants kurdes dominent ensuite l’alliance des Forces démocratiques syriennes (FDS) face au groupe jihadiste État islamique (EI), avec l’appui de la coalition internationale dirigée par les États-Unis.

Les FDS contrôlent aujourd’hui une zone dans laquelle sont notamment détenus des dizaines de milliers de jihadistes et leurs familles, dont ils réclament, sans grand résultat, le rapatriement dans leurs pays d’origine.

Mais alors qu’ils estiment avoir combattu l’EI au Levant pour le reste du monde, ils sont pourchassés par la Turquie. Ankara a lancé le 20 novembre une série de raids aériens sur des positions de combattants kurdes dans le nord de la Syrie. Et le président turc Recep Tayyip Erdogan menace d’y lancer une opération militaire terrestre.

Un point de contentieux entre Paris et Ankara 
Des éléments de l’enquête sur les trois militantes du PKK tuées en 2013 à Paris suggèrent que le suspect aurait pu agir pour le compte des services de renseignement turcs (MIT) (AFP)

 

 

Le dossier kurde est l’un des nombreux axes de crispation dans les relations bilatérales entre Paris et Ankara.

Des éléments de l’enquête sur les trois militantes du PKK tuées en 2013 à Paris suggèrent que le suspect aurait pu agir pour le compte des services de renseignement turcs (MIT). Il est depuis décédé mais des juges antiterroristes ont repris l’enquête.

Quatre hommes d’origine kurde avaient par ailleurs été attaqués en avril 2021 à coups de barre de fer dans un local associatif de Lyon, dans le centre-est de la France, au cours d’une agression que les victimes ont imputé au groupe ultranationaliste turc des Loups Gris, récemment dissous.

Logiquement, le drame de vendredi a réveillé les craintes des quelque 150 000 Kurdes de France.

" Il y a des menaces directes, les représentations politiques, culturelles et diplomatiques des Kurdes en France ont raison d’avoir peur ", a relevé pour le Journal du Dimanche Adel Bakawan, directeur du Centre français de recherche sur l’Irak, craignant pourtant que les débordements en marge des manifestations " entachent la grande solidarité de l’opinion publique française ".

La communauté refuse la thèse du crime raciste par un homme isolé. " Le régime fasciste d’Erdogan a encore frappé ", martelait lundi Agit Polat, le jeune président du Conseil démocratique kurde en France (CDK-F).

Ankara, de son côté, a convoqué l’ambassadeur de France en Turquie pour exprimer son " mécontentement face à la propagande lancée par les cercles du PKK ", a indiqué à l’AFP une source diplomatique turque.

Avec AFP