Dans le gouvernorat de Deraa, à la périphérie de la capitale syrienne, les manifestations se succèdent depuis plusieurs jours, expressions d’une colère populaire qui ne s’est jamais éteinte depuis 2011, lorsque la région était le théâtre des premières contestations contre le régime. Dégradation de la situation économique, répression des forces de sécurité et chaos sécuritaire ont attisé la colère populaire qui cible deux composantes: le régime syrien et les milices iraniennes. 
Pour l’heure, le mouvement de contestation s’est étendu aux villes de Jasim, Dael, Muzayrib et Jalin, et devrait gagner le reste de la province. (réseaux sociaux)
Dans le gouvernorat de Deraa, à la périphérie de Damas et berceau de la révolution syrienne, l’étincelle de la contestation s’est à nouveau ravivée lundi dernier, alors que des manifestations anti-régime s’étendent dans le nord et dans l’ouest de la région. Parmi les revendications des manifestants: la libération des détenus, la chute du régime et l’expulsion des milices iraniennes.

Pour l’heure, le mouvement de contestation s’est étendu aux villes de JasimDaelMuzayrib et Jalin, et devrait gagner le reste de la province. Dans la ville d’al-Naimah, à l’est du gouvernorat, des manifestants ont mis le feu à des pneus pour protester contre le régime.

L’arrestation d’une femme par les forces de sécurité semble avoir mis le feu aux poudres, alors qu’en parallèle, le mécontentement populaire est à son apogée en raison de la dégradation de la situation économique. Entre pannes d’électricité, inflation et hausse du prix des denrées alimentaires, sans compter la pénurie de carburant depuis le début du mois de décembre, les habitants de la région n’hésitent plus à braver leur peur et à défiler dans les rues face à un régime jugé incapable de garantir les services de base et la sécurité des citoyens.

Loin d’être isolées, ces manifestations se sont multipliées depuis le 21 décembre dans le gouvernorat de Deraa. Avant la fête de Noël, des dizaines de manifestations ont eu lieu durant trois jours consécutifs, ce qui constitue une première depuis la reprise en main de cette région par le régime en 2018. Dans le gouvernorat de Soueïda, des manifestations similaires ont lieu tous les lundis, axées sur des revendications économiques, mais aussi politiques.

"Le peuple veut la chute du régime"

Dans la ville de Jasem, les manifestants se considèrent comme les porte-paroles d’un peuple syrien martyrisé par le régime et victime des milices iraniennes, alliées du pouvoir, qui sévissent à travers le pays. Plusieurs vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrent une foule scandant des slogans tels que "Le peuple veut la chute du régime""Libérez la Syrie" ou encore "Peuple libre, que la révolution demeure".  Les manifestants ont également exprimé leur solidarité avec les habitants d’autres régions où le mouvement contestataire prend de l’ampleur.

La détermination des manifestants se heurte cependant à l’inflexibilité du régime, bien décidé à ne pas desserrer d’un pouce son étreinte sur la région : le général Louay al-Ali, à la tête de la sécurité militaire, a récemment informé les habitants de Deraa que le régime ne libérerait aucun détenu.

La Coalition nationale syrienne a apporté son soutien à ces manifestants dans un communiqué, estimant que le peuple de Deraa "fait preuve de courage et prouve que la révolution est vivante dans le cœur des Syriens", qui continuent à "rejeter le régime d’Assad et les forces étrangères sur lesquelles il s’appuie".

Une menace existentielle pour le régime
Less manifestants se considèrent comme les porte-paroles d’un peuple syrien martyrisé par le régime et victime des milices iraniennes, alliées du pouvoir, qui sévissent à travers le pays. (AFP)

Malgré son retour dans le carcan de Damas en 2018, la région de Deraa n’a pas cessé de constituer une menace existentielle pour le régime syrien, qu’elle continue de défier de manière régulière depuis lors.

Un chaos sécuritaire règne dans la région, alors que l’opposition poursuit une guérilla de faible intensité contre les forces de sécurité, qui n’hésitent pas à commettre des exactions contre les civils en guise de riposte. Selon le chercheur Abdullah al-Jabassini pour al-Jazeera, près de 425 actes de violence ont été signalés dans la région entre août 2018 et mars 2022, principalement de la part du régime, tandis que les citoyens ont organisé près de 60 manifestations dans le même temps.

Le retour à une paix factice en 2018 n’a jamais été synonyme de réconciliation, les habitants de Deraa refusant de reconnaître un régime qu’ils jugent illégitime pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les services publics restent inexistants, alors que leur retour avait été promis par Damas lors de l’accord de 2018 entre l’opposition et le pouvoir central. De nombreux habitants de la région vivent dans une pauvreté extrême, sans aucun service de santé, alors que la pandémie de la Covid-19 a ravagé le pays durant deux ans.

Malgré son retour dans le carcan de Damas en 2018, la région de Deraa n’a pas cessé de constituer une menace existentielle pour le régime syrien, qu’elle continue de défier de manière régulière depuis lors. (réseaux sociaux)

Par ailleurs, Deraa est en proie à un véritable désordre, fruit de la guerre par procuration qu’y mènent l’Iran et Israël depuis le début de la guerre civile. Alors que les milices iraniennes mènent leurs actions dans l’impunité la plus totale, les citoyens de Deraa poursuivent leur mobilisation à coups de manifestations et de graffitis hostiles à l’occupation iranienne.

Pour le régime syrien, pas question de lâcher du lest dans cette région, qui permet de garantir l’accès au passage de Nasib, point commercial clé entre la Syrie et la Jordanie. Le contrôle de Deraa revêt par ailleurs une forte dimension symbolique, la région ayant vu naître la vague de contestation en 2011. Autant de raisons qui poussent le régime à ne pas lâcher d’un iota son étreinte sur une population exsangue, quitte à la jeter en pâture aux milices iraniennes.