Déjà condamnée à deux mois de prison pour avoir pris une décision illégale, l’ancienne ministre danoise et championne des mesures anti-immigration Inger Støjberg a été déchue mardi de son mandat de députée par le parlement, dans une affaire inédite.

Au terme d’un long débat de quatre heures où les deux partis d’extrême-droite ont défendu sa cause, le parlement danois a voté à une nette majorité (98 pour, 18 contre) en faveur de l’exclusion immédiate de l’ancienne ministre de 48 ans.

Comme l’exigent les règles parlementaires – seuls les députés peuvent siéger – Inger Støjberg a dû quitter sur le champ l’hémicycle, où elle siégeait depuis 2001.

" Je préfère être expulsée par le Parlement pour avoir essayé de protéger des jeunes filles que d’en être chassée par le peuple danois parce que j’ai regardé ailleurs ", a-t-elle déclaré à sa sortie.

" Ne prévoyez pas de ne plus jamais m’entendre parler ", a ajouté l’ancienne ministre libérale, que beaucoup verraient rebondir dans un parti anti-immigration mais qui n’a pas voulu en dire plus sur son avenir.

La semaine dernière, au terme d’un rare procès devant une cour spéciale, la pasionaria des " valeurs danoises " avait été reconnue coupable d’avoir délibérément bafoué ses responsabilités ministérielles en ordonnant la séparation de couples de demandeurs d’asile lorsque la femme avait moins de 18 ans, une mesure destinée à combattre les mariages forcés.

Sa décision contrevenait aussi à la Convention européenne des droits de l’homme, selon le tribunal chargé de juger les ministres pour les actes commis durant leur mandat, qui l’a condamnée à une peine de prison pour la première fois de son histoire.

En dehors de l’extrême droite, la plupart des partis soutenaient son exclusion, y compris son ancien parti des Libéraux qu’elle avait quitté en février.

" Il est incompatible avec la charge de membre du parlement d’être condamné à une peine de prison sans sursis. Il est également incompatible de purger une peine de prison quand on est députée ", a déclaré le président du parti au Parlement, Karsten Lauritzen.

Seuls quatre députés avaient jusqu’ici été exclus du Folketing, popularisé dans la célèbre série danoise Borgen. Le dernier précédent remontait à 1990.

Inger Støjberg a toutefois obtenu de nombreux soutiens des deux importantes formations anti-immigration du Parti du peuple danois (DF) et des Nouveaux conservateurs.

Lors de nombreuses prises de parole, les deux partis classés à droite de la droite ont contesté la démesure de la sanction, tout comme le fait qu’elle ait fait une faute en combattant les mariages de mineures.

Soutien de Le Pen

En 2016, 23 couples d’immigrés, dont la différence d’âge était pour la plupart peu importante, avaient été séparés, sans examen individuel de leur dossier, en vertu de la consigne donnée par Inger Støjberg.

Ils avaient été placés dans des centres d’hébergement différents pendant l’examen de leur dossier de demande d’asile. Dans sept des cas, le personnel des centres avait signalé des pensées suicidaires ou des tentatives de suicide.

Après sa condamnation la semaine dernière, Inger Støjberg avait dénoncé à sa sortie du tribunal " une défaite pour les valeurs danoises " et " pas seulement pour moi ".

Vendredi, elle a choisi de renvoyer à la reine sa médaille de l’ordre de Dannebrog, l’équivalent danois de la Légion d’honneur.

La quadragénaire aux cheveux cuivrés a notamment recueilli le soutien de la cheffe de file de l’extrême droite française, Marine Le Pen, qui avait vu dans sa condamnation un signe que l’Europe " perd la tête ".

Durant son mandat de ministre (2015-2019), Mme Støjberg avait pris de nombreuses autres mesures controversées, dont celle de confisquer des biens de migrants pour financer leur prise en charge au Danemark.

Malgré le retour de la gauche au pouvoir il y a deux ans, le pays scandinave reste le tenant d’une des politiques migratoires les plus dures d’Europe.

C’était seulement la troisième fois depuis 1910 qu’un responsable politique était renvoyé devant les 26 juges de la cour spéciale de justice au Danemark.

Dans le pays scandinave, les personnes qui purgent des peines d’emprisonnement de moins de six mois peuvent bénéficier d’un placement sous surveillance électronique. Mme Støjberg n’a toujours pas indiqué son choix.

Par Camille BAS-WOHLERT (AFP)