" Minorité rapace ", " tricheurs ", " hypocrites ": le président de gauche du Mexique, Andres Manuel Lopez Obrador, s’en prend souvent aux entrepreneurs de son pays, sauf au plus riche d’entre eux, son " ami " Carlos Slim, ex-première fortune mondiale.

Le chef de l’Etat, qui veut rompre avec 35 ans de " néo-libéralisme ", a scellé sa très bonne relation avec le magnat latino-américain des télécoms lors d’un déjeuner lundi au Palais national, siège de la présidence. Pour l’occasion, " AMLO " a qualifié M. Slim " de bon entrepreneur qui contribue au développement du pays ".

M. Lopez Obrador a salué le civisme fiscal d’América Movil, le plus grand opérateur de téléphonie mobile d’Amérique latine et navire-amiral de l’empire Slim, dont la fortune personnelle est évaluée à 83 milliards de dollars par Forbes.

" América Movil a vendu une filiale aux Etats-Unis et a payé au Mexique, le 16 décembre, 28 milliards de pesos (1,19 milliard d’euros) au fisc ", a-t-il posté sur Twitter, en posant tout sourire avec l’homme d’affaires de 81 ans.

Le président a confié à son " ami ", qui a aussi bâti sa fortune dans les travaux publics, des parts de marché dans les grands chantiers de son mandat, comme le train touristique Maya.

L’entreprise de construction de Carlos Slim, Carso, est passée entre les gouttes de la polémique lors de l’effondrement d’une de ses réalisations, la ligne 12 du métro de Mexico, un accident qui a tué 26 personnes en mai.

Le chef d’entreprise s’est engagé à reconstruire le tronçon que son entreprise avait construit, en écartant toute responsabilité. Le groupe Carso a déclaré qu’il en aurait pour 800 millions de pesos (environ 38 millions de dollars), environ 1% de son chiffre d’affaires.

Andres Manuel Lopez Obrador et Carlos Slim se connaissent depuis le début des années 2000, quand l’éternel opposant était le maire de Mexico et que le milliardaire a participé au financement de la rénovation du centre historique autour du Palais national.

" Lopez Obrador est trop rusé pour se confronter à l’homme le plus puissant du pays ", lance l’ancien ministre des Affaires étrangères et analyste politique anti-AMLO Jorge Castañeda.

" Il faut être réaliste "

Leur relation a connu un coup d’arrêt au début du mandat de M. Lopez Obrador en décembre 2018. Le président a annulé la construction d’un nouvel aéroport à Mexico affirmant que les appels d’offres avaient été gangrénés par des affaires de corruption sous son prédécesseur. Carlos Slim a moyennement apprécié, lui qui participait à la construction à travers son entreprise Carso.

La rupture n’a jamais été définitive. " Slim fait partie de ces hommes d’affaires qui est un peu au-dessus des conflits politiques. Il a su maintenir des relations avec tout le monde ", commente l’éditorialiste Mario Maldonado.

M. Slim est devenu millionnaire quand il a acheté la compagnie publique Teléfonos de México (Telmex), privatisée en 1990 sous le président Carlos Salinas de Gortari (1988-1994), figure libérale honnie par Andres Manuel Lopez Obrador.

" C’est vrai que Salinas a livré TelMex à Carlos Slim. Mais il faut être réaliste à l’heure d’exercer le pouvoir ", soupire Jesus Ramirez, porte-parole du président mexicain.

Avec le boom des portables, l’entrepreneur mexicain d’origine libanaise a disputé à plusieurs reprises le titre d’homme le plus riche du monde à Bill Gates (Microsoft) dans les années 2000-2010, avant l’envolée de Jeff Bezos (Amazon) ou Elon Musk (Tesla). Il est devenu l’un des actionnaires du New York Times et reste aujourd’hui dans le top-20 des grandes fortunes mondiales.

Carlos Slim et quelques autres entrepreneurs " ne se prennent pas de passion pour les enjeux électoraux et, bien qu’ils ne soient pas d’accord avec nous, agissent avec prudence ", salue AMLO dans son dernier livre " Au milieu du chemin ".

Au contraire, la Confédération patronale de la République mexicaine (Coparmex) est un " organisme qui agit plus comme un secteur du PAN (parti conservateur d’opposition) que comme un authentique représentant des entrepreneurs ", ajoute-t-il.

" Comme tous les oligarques du monde, les membres de l’élite des entrepreneurs du Mexique aiment l’argent (…) ils sont habituellement tricheurs et hypocrites ", écrit-il encore dans cette sorte de bilan à mi-mandat. En mai 2018, Andres Manuel Lopez Obrador, alors candidat, avait dénoncé pendant la campagne présidentielle un gouvernement au service d’une " minorité rapace " qui ne veut pas perdre ses privilèges.

L’influente politologue Denise Dresser a critiqué la proximité entre le président et le milliardaire en le qualifiant de " capitalisme entre +cuate+ ", un mot de l’espagnol mexicain signifiant " potes ". " Lopez Obrador le célèbre au lieu de changer les règles ".

Par Yussel GONZALEZ (AFP)

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