Visite historique ce 16 mars du président sud-coréen Yoon Suk Yeol à Tokyo, pour rencontrer le Premier ministre japonais Fumio Kishida. Les deux pays ambitionnent de renforcer leurs liens, après des années de froid en raison des anciennes relations coloniales qui les lient. Séoul et Tokyo veulent en effet désormais faire front commun, notamment, contre la Corée du Nord.

Les dirigeants japonais et coréen, réunis jeudi pour tenter de réchauffer des liens minés ces dernières années par des contentieux historiques, se sont accordés pour relancer leurs relations diplomatiques et commerciales et présenter un front uni face à la Corée du Nord.

Japon et Corée du Sud veulent faire front commun face à la Corée du Nord (AFP)

Le même jour, Pyongyang a justement tiré au moins un missile balistique intercontinental (ICBM) en direction de la mer du Japon, quelques heures avant l’arrivée à Tokyo du président sud-coréen Yoon Suk Yeol.

" Notre armée a détecté un missile balistique de longue portée tiré depuis la zone de Sunan à Pyongyang ", a indiqué à l’AFP l’état-major interarmées, précisant à l’AFP qu’il s’agissait d’un ICBM.

" Nous sommes convenus que le renforcement des relations entre le Japon et la Corée du Sud est urgent dans le contexte actuel ", a déclaré le Premier ministre nippon Fumio Kishida après son entrevue à Tokyo avec le président sud-coréen Yoon Suk Yeol, inédite à ce niveau depuis 12 ans.

La visite de M. Yoon " est un grand pas vers la normalisation des relations " entre les deux pays, a-t-il ajouté.

Cette rencontre s’inscrivait dans le prolongement du plan de Séoul présenté début mars pour indemniser des Sud-Coréens soumis au travail forcé par le Japon pendant la première moitié du 20ᵉ siècle.

Les relations doivent se réchauffer entre les deux pays, après des années de contentieux historiques (AFP)

De nouveaux progrès vers la réconciliation ont été annoncés jeudi, avec la décision des deux pays de ressusciter leur " navette diplomatique ", un mécanisme de rencontres régulières entre leurs dirigeants, interrompu depuis décembre 2011.

Le Japon va par ailleurs lever ses restrictions à l’export de matériaux pour semi-conducteurs vers la Corée du Sud, qu’il avait instaurées en 2019, et Séoul va retirer sa plainte sur ce dossier devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

La Corée du Nord a marqué ce sommet à sa façon, en tirant un missile balistique intercontinental (ICBM) qui s’est abîmé en mer du Japon quelques heures avant l’arrivée du président sud-coréen à Tokyo.

Soulignant " la menace nucléaire toujours plus grande posée par la Corée du Nord à la paix et la stabilité ", M. Yoon a estimé que Tokyo et Séoul devaient " coopérer étroitement " pour " affronter avec sagesse ces menaces illégales et les défis auxquels fait face la communauté internationale " tout entière.

Le dirigeant, qui pourrait aussi être invité par M. Kishida au sommet du G7 en mai à Hiroshima, a érigé le rétablissement des liens avec Tokyo en priorité absolue dès son élection il y a un an.

Mais le passé pèse lourdement sur leurs relations, marquées par la sombre période de la colonisation japonaise de la péninsule coréenne (1910-1945), et notamment la question dite des " femmes de réconfort " coréennes, ces esclaves sexuelles des soldats nippons durant la Seconde Guerre mondiale.

Une décision de justice sud-coréenne de 2018, ordonnant à certaines entreprises nippones de verser des compensations pour le travail forcé durant l’occupation, avait précipité les rapports bilatéraux dans une nouvelle crise.

Le président sud-coréen est arrivé à Tokyo ce matin du 16 mars (AFP)

Le Japon estime jusqu’à présent que le contentieux historique a été réglé depuis 1965 par la normalisation des relations bilatérales, notamment via un paquet de prêts et d’aide financière accordé par Tokyo à Séoul.

L’arrivée au pouvoir de M. Yoon et les inquiétudes grandissantes causées par les provocations répétées de Pyongyang et les ambitions régionales croissantes de la Chine ont cependant relancé les espoirs de détente entre les deux démocraties voisines.

" Des changements radicaux affectent les relations internationales ", note Yuki Asaba de l’université Doshisha, et cela " rend d’autant plus urgent pour les Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud de se coordonner " et de renforcer leur capacité de dissuasion, selon ce professeur d’études coréennes interrogé par l’AFP.

MM. Yoon et Kishida devaient poursuivre leurs discussions autour d’un dîner jeudi soir, des médias japonais rapportant que M. Yoon avait émis le souhait de déguster du " omurice ", un plat familial japonais composé d’une omelette sur du riz.

Pour le professeur Park Won-gon de l’université Ewha de Séoul, l’avenir de leurs relations dépendra cependant " du degré auquel le Premier ministre Kishida sera prêt à s’excuser " pour les crimes passés du Japon.

Tokyo a dit maintenir ses excuses historiques formulées dans les années 1990 pour les actes commis en temps de guerre, mais beaucoup en Corée du Sud les estiment insuffisantes et critiquent le plan de compensation de M. Yoon.

Le rapprochement entre Séoul et Tokyo a cependant été salué sur le plan international, en particulier par Washington, soucieux de voir ses deux plus proches alliés asiatiques se réconcilier.

Pour M. Asaba, les concessions de M. Yoon envers le Japon sont en partie motivées par son désir de se rapprocher de Washington, avec qui il veut une alliance " de nature plus globale, complète et stratégique " dans les domaines économique, sécuritaire ou technologique.

Rémi Amalvy, avec AFP