Le retour à un accord nucléaire avec l’Iran semble désormais cause perdue. Avec la normalisation des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie Saoudite le 13 mars dernier, la République islamique est parvenue à faire diversion, déviant l’attention de la communauté internationale.

Malgré les évolutions récentes dans les rapports entre l’Iran et l’Arabie saoudite, les déclarations du chef de l’état-major de l’armée américaine, Mark Milley, le 24 mars dernier a ravivé les débats sur la scène internationale. Milley a mis en garde contre le danger représenté par l’Iran en réaffirmant que "les États-Unis restent engagés à empêcher le régime de se doter de la bombe nucléaire",

Plus sceptique, Dennis Ross, ancien diplomate américain et expert en affaires du Moyen-Orient, estime que "si l’on suit de près les déclarations de M. Milley, les États-Unis ne réagiraient que si l’Iran déploie la bombe nucléaire". Et de souligner: "Dans ce cas, l’Iran développera une bombe". Ainsi, avec l’inaction occidentale, la communauté internationale s’est-elle véritablement résignée à coexister avec un Iran nucléaire?

Le chef de l’AIEA et le directeur de l’Organisation de l’énergie atomique d’Iran Mohammad Eslami lors d’une conférence de presse à Téhéran en mars dernier.

Tout d’abord, pour rappel, un accord sur le nucléaire iranien, dit JCPOA, avait été signé en 2015 sous la présidence de Barack Obama, limitant l’enrichissement d’uranium à un taux de 3,67%, et donc restreignant la production des centrifuges à un usage civil.

Néanmoins, sous la présidence de Donald Trump, les États-Unis se sont retirés unilatéralement du JCPOA, estimant que les concessions iraniennes n’étaient pas suffisantes. Washington adopte alors de strictes sanctions qui ont plongé le pays dans une crise économique profonde, avec une monnaie dévaluée et un système de production quasi-paralysé.

En 2020, avec l’arrivée du président Joe Biden au pouvoir, Washington relance les négociations à Vienne et tente de réactiver l’accord.

Au cours des deux dernières années, des supputations ont porté sur un possible retour à l’accord nucléaire. Mais les négociations entre l’Iran et le groupe dit " 5+1 " (Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Russie, Chine et Allemagne) ont trainé en longueur et se sont soldées en définitive par un échec.

En septembre 2022, l’accord était sur le point d’être conclu. Le Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, avait même présenté un document complet de l’accord que Washington avait accepté. Cependant, Téhéran avait imposé à la dernière minute des exigences totalement insensées, conduisant à son échec.

Une coquille vide

Dernier développement en date: le site internet Bloomberg a affirmé le 20 février dernier que certains inspecteurs ont découvert des traces d’uranium enrichi à 83,7% dans l’installation nucléaire de Fordo, non loin du seuil de 90% nécessaire pour la confection d’une bombe nucléaire.

La centrale nucléaire iranienne d’Arak.

Cette information a été confirmée par un rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), daté du 28 février. Le 4 mars dernier, Raphael Grossi, directeur général de l’AIEA, déclarait depuis Téhéran que "ce que nous faisons ici et l’accord que nous essayons de conclure pourraient aider à rétablir le JCPOA", tout en précisant que "actuellement, l’accord sur le nucléaire est une coquille vide".

Ce qui est certain, c’est que les traces d’uranium découvertes pourraient indiquer que l’Iran expérimente un enrichissement proche de celui d’une arme nucléaire sans informer l’AIEA, raccourcissant ainsi le chemin vers sa production.

Que les particules enrichies aient été le produit accidentel de la reconfiguration de ses centrifuges ou produites d’une manière intentionnelle, cet "incident" souligne le défi accru de discerner les intentions nucléaires de Téhéran ainsi que le risque croissant de prolifération et de militarisation rapides du programme nucléaire.

D’ailleurs, il est important de rappeler que les bombes de Hiroshima et Nagasaki avaient été confectionnées avec de l’uranium enrichi à 80%. Ceci ravive les craintes que l’Iran est en passe de rejoindre très prochainement le club très restreint des puissances nucléaires.

Scepticisme occidental

Plusieurs facteurs empêcheraient toute relance de cet accord. Tout d’abord, les manœuvres iraniennes visant à entraver les négociations rendent les Occidentaux sceptiques envers Téhéran. Ensuite, un froid s’est installé entre l’Iran et l’Occident, depuis que Téhéran contribue à l’invasion russe de l’Ukraine en vendant des drones Shahed à Moscou.

Ali Shemkhani, secrétaire du Conseil suprême iranien de sécurité nationale, lors de sa visite au président émirati MBZ.

Dimanche dernier, la chaine Al-Jazeera a même fait état d’une coopération russo-iranienne dans le développement de systèmes de surveillance. De plus, la vague de protestations qui a éclaté suite au meurtre de Mahsa Amini a ébranlé les fondements du régime iranien et sa légitimité populaire. L’Iran accusant, de son côté, l’Occident d’être derrière ces troubles.

Parallèlement, les États-Unis ont imposé des sanctions sur le régime des mollahs pour violations des droits de l’Homme, de quoi raviver les tensions entre les deux parties.

Aujourd’hui, Washington affirme ouvertement que la relance de l’accord n’est pas une priorité. Téhéran accuse toutefois les responsables américains d’hypocrisie et affirme avoir reçu, par des voies informelles, des messages favorables au retour au JCPOA.

Aucun signe de progrès dans les pourparlers n’est cependant perceptible, les Occidentaux se limitant à exhorter l’Iran à augmenter son niveau de coopération avec l’AIEA.

Cependant, les deux parties se sont vantées, malgré leur volonté de ne pas déclarer l’accord mort irrévocablement, d’avoir élaboré un plan B en cas d’impasse, ce qui suscite des inquiétudes quant à une confrontation militaire.

Téhéran marque des points

Téhéran considère qu’il jouit d’un contexte régional et international favorable au statu quo actuel. L’Iran a réussi, en effet, à exporter la totalité de sa production de pétrole en 2022. Ces exportations ont atteint un pic pour la première fois en quatre ans.

Le président iranien Ebrahim Raïssi à l’ONU.

Téhéran a ensuite rétabli ses relations diplomatiques avec Ryad sous les bons auspices de Pékin. Quant aux relations avec Moscou, cosignataire du JCPOA, elles n’ont jamais été aussi étroites, tandis que Washington est absorbé par le conflit avec la Russie et sa concurrence stratégique avec la Chine.

Simultanément, l’Europe, sous grande pression économique, est concentrée sur la guerre en Ukraine. Enfin, Israël est pris sous les feux d’une crise interne aigüe.

En somme, l’Iran ne semble pas avoir intérêt à relancer le JCPOA, d’autant qu’elle se trouve sur la dernière ligne droite pour acquérir sa toute première bombe nucléaire.

Désormais, un choix s’impose aux États-Unis: le retour à une politique stricte, qu’elle soit militaire ou économique, parallèlement à une relance des négociations afin de tenter, tant bien que mal, un retour au JCPOA; ou se résoudre au fait accompli.

Peut-on coexister avec un Iran nucléaire au niveau régional et international? Sinon, quelles sont les options proposées pour y faire face? Une frappe israélo-américaine est-elle une solution valable pour paralyser le programme nucléaire iranien? Un Iran nucléaire serait-il plus responsable qu’il ne l’est actuellement ? Enfin, quelles seraient les positions de Moscou et de Pékin ?