Le premier putsch en Syrie, fomenté par Housni al-Zaïm, allait déclencher une suite ininterrompue de coups d’État et peut-être interrompre une transition démocratique qui aurait pu s’étaler sur le moyen terme. Le régime de Housni al-Zaïm, si bref, nous révélera toutes les spécificités des dictatures militaires qui allaient s’imposer en Syrie comme en Irak.

Ne s’être maintenu au pouvoir que cent trente-sept jours et avoir trouvé le temps d’interdire la déambulation en pyjama dans les rues de Damas mérite d’être souligné! Avec le colonel Housni al-Zaïm au pouvoir, à la faveur du putsch du 30 mars 1949, nous sommes en plein Ubu Roi. D’ailleurs, le physique du personnage s’y prêtait, petit et boudiné qu’il était.

L’intervention militaire qui renversa le président de la République Choukri al-Kouatli et son Premier ministre Khaled al-Azem ne fut pas sanglante. Néanmoins, elle déclencha en Syrie un cycle ininterrompu de coups d’État qui allaient désarçonner les institutions démocratiques naissantes. Or ce pays aurait gagné à asseoir des usages pacifiques de passation des pouvoirs et par là même à réussir sa "velvet transition".

Le matin du putsch, alors qu’une fine pluie venait d’arroser la capitale syrienne, des blindés de l’armée, dont le commandant en chef était Housni al-Zaïm, avaient occupé les points névralgiques de Damas. Les passants, qui en étaient à leur premier coup d’État, s’enquéraient de la situation auprès des soldats en faction devant les divers ministères de Damas. La réponse laconique qu’ils recevaient se réduisait à un seul mot: "inqilab"! Et les badauds interloqués de s’exclamer: "shlon inqilab?". C’était tout beau, tout neuf.

Housni al-Zaïm, mort comme il a vécu en sous-lieutenant.

Le personnage

Né à Alep en 1889 et ayant participé au combat comme lieutenant dans les armées ottomanes lors de la Première Guerre mondiale, Housni al-Zaïm fut fait prisonnier par les Britanniques. Il rejoignit Fayçal en Syrie, puis servit dans les troupes françaises, allant jusqu’à suivre à l’école militaire d’infanterie de Saint-Maixent, une formation qui lui permit de tisser des liens avec le haut-commandement français. En 1941, il combattit dans les rangs vichystes. Arrêté et condamné, il ne fut libéré qu’à l’Indépendance. En 1948, il fut nommé au poste de directeur de la police puis désigné commandant en chef de l’armée syrienne alors que la première guerre de Palestine se déclenchait. S’étant saisi du pouvoir le 30 mars 1949, il fut renversé le 14 août suivant par le putsch de Sami Hennaoui, un officier de son entourage, qui n’hésita pas à ordonner son exécution sommaire.

Féru de gloire, d’un caractère imprévisible, souffrant du diabète et souvent en proie à des crises de colère irrépressibles, il s’était autoproclamé maréchal. Par ailleurs, il jeta ses adversaires politiques en prison et n’épargna même pas ceux qui, au départ, avaient appuyé son action, comme Michel Aflak, fondateur et leader du parti Baas. Il alla même jusqu’à porter le monocle, tel un officier prussien pour intimider interlocuteurs et quémandeurs.

Tout cet aspect burlesque n’empêcha pas Zaïm de chercher à mener des réformes tambour battant sur le modèle d’Atatürk et de concentrer toute autorité entre ses mains. D’ailleurs, le 2 avril 1949, un décret-loi lui accorda à titre personnel aussi bien le pouvoir législatif que le pouvoir exécutif. Des secrétaires d’État furent désignés à la tête des divers ministères pour assurer la gestion courante des affaires.

Le contexte régional

Nous sommes fin mars 1949, au lendemain de la création de l’État d’Israël et de la nakba palestinienne. La Syrie était l’objet des convoitises de ses voisins arabes, principalement hachémites. Le régent d’Irak Abdelilah voulait l’annexer à son pays pour constituer le Croissant fertile alors que le roi Abdallah I voulait l’unir à la Jordanie en vue de créer une Grande Syrie qu’il soumettrait à son propre pouvoir. Le roi Farouk d’Égypte tout comme le roi Ibn Saoud d’Arabie s’y opposaient, ne voulant pas renforcer le pouvoir hachémite dans le monde arabe.

Les trois questions

1- Quelles puissances étrangères ont pu inciter Housni al-Zaïm à se saisir du pouvoir?

Le président Choukri al-Kouatli était prosaoudien: ni lui ni son Premier ministre, Khaled al-Azem, n’allaient favoriser les projets d’union dont rêvaient les hachémites. De ce fait, c’est à se demander si ces derniers n’avaient pas incité la junte militaire à renverser le pouvoir civil légal. Si ce fut le cas, il semble qu’ils n’aient pas parié sur le bon cheval, car Housni al-Zaïm se révéla un obstacle à tout projet d’union. Très jaloux de ses prérogatives et se refusant à partager le pouvoir, il préserva la souveraineté nationale syrienne dans les limites territoriales de son pays.

Seraient-ce alors les puissances occidentales? En vertu de sa formation, Housni al-Zaïm était profrançais, mais il est difficile d’affirmer, sans preuve à l’appui, que Paris fut impliqué dans le coup, même si l’agence de presse soviétique Tass affirma que le putsch avait été fomenté par la CIA en coopération avec l’ambassade de France à Damas. Il est fort probable que Stephen Meade, l’agent des services américains stationné à Damas, ait rencontré Zaïm secrètement et à plusieurs reprises pour envisager la possibilité d’un putsch. Mais ce n’est pas parce que le nouveau régime réprima les communistes et autorisa le passage du pipeline de l’Aramco en territoire syrien qu’on peut considérer les États-Unis comme commanditaires du putsch (1).

La vérité serait plus prosaïque: une enquête pour corruption avait été lancée dans les rangs de l’armée et, semble-t-il, des officiers de haut rang étaient impliqués, ce qui les porta à constituer une junte qui allait renverser les hommes au pouvoir, mettre fin aux poursuites et sauver leurs têtes.

Choukri al-Kouatli le président renversé.

2- Y eut-il des négociations secrètes avec Israël?

Housni al-Zaïm prit sur lui de régler le problème des frontières avec l’État d’Israël. Ce fut le 20 juillet, sous l’égide des Nations unies, que l’accord d’armistice fut signé: l’article 5 y consacrait, comme officielle, la ligne de cessez-le-feu entre les belligérants (2).

La situation des juifs allait s’améliorer quelque peu en Syrie après les persécutions dont ils avaient été l’objet avec les événements de Palestine. Ils y étaient au nombre de 30 000. Avec Zaïm au pouvoir, un nombre considérable d’entre eux put prendre le chemin de l’exil et d’ailleurs 5000 finirent par s’installer en Israël.

Reste à savoir si des pourparlers secrets avaient réellement été engagés entre Israël et la Syrie pour aboutir à un accord de paix, accord qui aurait prévu le transfert de 300 000 Palestiniens en Syrie et une ligne de démarcation entre Israël et la Syrie qui passerait au milieu du lac du Houla et de la mer de Galilée (3). Il est fort probable que des contacts secrets aient été engagés entre Housni al-Zaïm et le ministre israélien des Affaires étrangères Moshe Shertok entre les mois d’avril et de mai 1949, et que ce soit le Premier ministre David ben Gourion qui les court-circuita. De toute manière, ce projet – si projet il y eut – ne s’est jamais concrétisé (4).

3- L’extradition d’Antoun Saadé et son exécution

Antoun Saadé, leader du Parti syrien national social (PSNS), s’était réfugié en Syrie à la suite d’une échauffourée le 9 juin 1949 avec des membres du parti Kataeb à Beyrouth. Housni al-Zaïm lui accorda l’asile politique tout en l’assurant de son soutien. À la tête du Liban, il y avait Béchara el-Khoury comme président de la République et Riad el-Solh comme président du Conseil des ministres. À partir de Damas, Antoun Saadé déclara, en date du 3 juillet, la révolution et déclencha à partir de ses quartiers généraux une intifada sur le territoire libanais. Mal préparée et ne bénéficiant d’aucun soutien, elle fut étouffée dans l’œuf. Sur l’insistance des autorités libanaises, Housni al-Zaïm livra à ces dernières Antoun Saadé, qui fut condamné à mort et exécuté au terme d’un simulacre de procès.

La question qui demeure est celle de savoir pourquoi le maître de la Syrie avait livré le chef du PSNS à une mort certaine, alors que, par exemple, il aurait pu le mettre sur le premier avion à destination de l’Amérique latine! On a invoqué les lourdes pressions qui furent exercées sur lui (5), mais on imagine mal le gouvernement civil d’un petit Liban faire pression sur un militaire ayant les pleins pouvoirs dans un pays comme la Syrie!

À ces trois questions, Carl Rihan tenta de répondre dans une excellente étude (6).

Youssef Mouawad
[email protected]

1- L’un des principaux objectifs de la politique américaine en Syrie, à l’époque, était de relier l’Arabie saoudite à la Syrie par un oléoduc trans-arabe, projet auquel le Parlement syrien était fermement opposé. Zaïm, disposant des pleins pouvoirs, approuva le projet "Tapline" le 16 mai. 

2- En vertu de cet accord, la Syrie allait retirer ses troupes des territoires qu’elle contrôlait au-delà de la frontière internationalement reconnue. Par ailleurs, une zone démilitarisée allait désormais séparer les deux belligérants.

 3- Il semble que le Premier ministre Mohsen al-Barazi ait été chargé de mener des négociations secrètes avec Israël dans le but de signer un traité de paix entre les deux pays frontaliers. Mais le putsch du 14 août, qui renversa Housni al-Zaïm, mit fin à certaines expectatives.

4- Itamar Rabinovich, The Road not Taken: Early Arab-Israeli Negotiations, Oxford University Press, 1991; Moshe Ma’oz, Syria and Israel: From War to Peacemaking, Oxford University Press, 1995.

5- Nazir Fansa, Ayam Housni al-Zaïm, Dar al-Afaq al-Jadida, Beyrouth, 1982, p. 77.

6- Carl Rihan, Husni al-Zaim and the Making of Modern Syria: Foreign Intervention or Domestic Tensions, Paper presented at the Third International Conference of the Association for Political history, 10-13 juin, Université de Bielefield, Allemagne.

 

Abonnez-vous à notre newsletter

Newsletter signup

Please wait...

Merci de vous être inscrit !