Le paysage politique turc a été secoué par une bataille électorale acharnée qui s’est conclue par une victoire serrée pour le président sortant Recep Tayyip Erdogan, lors du second tour des élections présidentielles, le 28 mai.

Erdogan, dirigeant incontestable de la Turquie depuis 2003, a été confronté à un sérieux défi de la part du candidat d’opposition Kemal Kılıçdaroğlu, chef du Parti républicain du peuple, soutenu par une vaste coalition hétéroclite de six parties.

Les élections ont été marquées par une atmosphère de tensions palpables, avec les deux candidats principaux mobilisant leurs partisans à travers le pays. Les enjeux étaient sérieux, les électeurs turcs devant décider de l’avenir politique du pays dans un contexte de défis économiques, de questions relatives aux droits de l’homme et à la démocratie, sans compter les défis régionaux et géopolitiques.

Recep Tayyip Erdogan, qui s’est imposé comme une figure emblématique de la politique turque, a concentré ses efforts de campagne sur sa vision de l’avenir de la Turquie en tant que puissance régionale et internationale, jouant peu à peu le rôle de médiateur incontournable des conflits mondiaux.

Il a également cherché à galvaniser son électorat conservateur en mettant l’accent sur les valeurs traditionnelles et la stabilité politique.

La défaite de Kemal Kılıçdaroğlu aux élections présidentielles est en partie attribuée à une série d’erreurs politiques qui ont été exploitées par son rival, doté d’une expérience politique aiguisée.

Tout d’abord, Kılıçdaroğlu a tenté de se rapprocher des Kurdes, cherchant à gagner leur soutien. Cependant, cette stratégie semble avoir suscité des méfiances parmi son électorat de base nationaliste, qui voit souvent les questions kurdes comme une menace pour l’intégrité nationale.

Erdogan, en tant que politicien chevronné, a su exploiter cette fissure et a misé sur la division de l’électorat de l’opposition, qui s’est en partie abstenu lors du second tour.

En outre, Kılıçdaroğlu a adopté des positions de plus en plus strictes à l’égard des réfugiés syriens dans le but de galvaniser l’électorat nationaliste, à priori polarisé du fait du rapprochement avec le HDP (Parti démocratique des peuples).

Cependant, ces mesures ont déplu à la gauche libérale qu’il représente en tant que chef du CHP. Ses électeurs ont pu percevoir ces politiques comme une déviation de l’engagement historique de leur parti envers les droits de l’homme et la protection des réfugiés en détresse.

Erdogan, encore une fois, a su tirer profit de cette situation en positionnant son parti comme le garant de la stabilité et de la sécurité du pays, attirant ainsi le soutien d’une partie de l’électorat de l’opposition.

Les erreurs politiques du chef de l’opposition ont vraisemblablement eu un impact significatif sur la campagne électorale, contribuant à sa défaite.

Alors qu’il cherchait à élargir sa base et à gagner en soutien, il s’est retrouvé pris en tenaille entre des intérêts divergents des différentes parties de sa coalition, ce qui pourrait représenter les défis qu’il aurait rencontré en tant que chef de l’État.

Erdogan, en revanche, a su capitaliser sur ces erreurs et consolider son soutien en se positionnant habilement sur des questions clés telles que l’unité nationale et la sécurité.

Finalement, Recep Tayyip Erdogan a été déclaré vainqueur avec une marge mince, reflétant la polarisation profonde qui traverse le pays.

Cependant, malgré la défaite de Kılıçdaroğlu, le fait que l’opposition ait réussi à mettre en difficulté Erdogan montre une volonté croissante de changement parmi une partie significative de l’électorat turc.

L’élection présidentielle turque de 2023 restera dans les mémoires comme une élection de toutes les nouveautés. Tout d’abord, elle marque un tournant significatif avec la tenue d’un second tour, une première dans l’histoire politique de la Turquie. Cela témoigne de la rivalité féroce entre les deux principaux courants du pays: l’islam radical et le modernisme libéral.

De plus, cette élection marque un autre jalon historique, avec Erdogan remportant son troisième mandat consécutif en tant que président. Cette victoire sans précédent soulève, pour maints observateurs, des questions sur la concentration du pouvoir et les limites de la démocratie en Turquie.

Enfin, les résultats révèlent une réalité délicate: le président maintient difficilement sa légitimité face à une opposition de plus en plus unifiée et déterminée. Ce résultat étroit met en évidence les fissures au sein de la société turque et la nécessité pour Erdogan de gagner en soutien et de consolider sa position dans les années à venir.

Avec la réélection de Erdogan, trois aspects majeurs suscitent une attention particulière pour l’avenir politique de la Turquie.

Premièrement, il est crucial de surveiller s’il s’orientera davantage vers l’autoritarisme ou s’il cherchera à faire un pas vers l’électorat de l’opposition afin de tenter de le démanteler.

Renforcera-t-il son emprise sur le pouvoir et poursuivra-t-il sa politique de concentration des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires, ou adoptera-t-il une approche plus inclusive pour apaiser les tensions politiques internes ?

Il est probable qu’Erdogan maintienne ses positions et consolide son pouvoir politique pour renforcer sa légitimité. Ayant réussi à remporter une victoire serrée, il est susceptible de renforcer sa rhétorique populiste et nationaliste pour mobiliser son électorat de base et faire face aux défis de l’opposition.

Le chef de l’État a souvent adopté une posture ferme envers les critiques et a consolidé son pouvoir en écartant les voix dissidentes. Il pourrait donc chercher à renforcer sa mainmise sur les institutions étatiques et supprimer toute opposition significative, tout en continuant à promouvoir son programme politique islamique.

Deuxièmement, une question importante est de savoir si Erdogan maintiendra sa politique monétaire actuelle, que certains considèrent comme désastreuse. La Turquie fait face à des défis économiques importants ces dernières années, notamment une inflation élevée, une dépréciation de la monnaie nationale et une détérioration de la situation économique générale.

Optant pour une baisse des taux d’intérêts pour encourager l’investissement, il oublie qu’une inflation déjà galopante empirerait le pouvoir d’achat et la hausse des prix.

Troisièmement, il est crucial d’analyser la politique étrangère d’Erdogan lors de son nouveau mandat présidentiel. Une question importante est de savoir s’il opérera un rapprochement envers les pays du Moyen-Orient, tels que la Syrie et les pays du Golfe.

Erdogan a souvent adopté une approche assertive et interventionniste dans la région, en particulier en ce qui concerne la crise en Syrie. Il a soutenu des groupes d’opposition syriens et a mené des opérations militaires transfrontalières dans le nord de la Syrie pour contrer les forces kurdes.

Quant aux relations avec les pays du Golfe, suite à des tensions avec des acteurs régionaux tels que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis en raison de divergences d’opinions sur des questions régionales clés, un rapprochement a réellement eu lieu ces deux dernières années.

Certaines sources concordantes affirment qu’il se rendrait, pour sa première visite en tant que président, en tournée dans les pays du Golfe. Il serait intéressant de percevoir s’il cherchera à presser le pas et à renforcer ses relations, respectant ainsi les fondements de la politique "zéro problème entre voisins" autrefois prônée par l’ancien Premier ministre Ahmet Davutoglu.

En ce qui concerne la médiation dans des conflits majeurs internationaux, Erdogan a déjà joué un rôle actif et a su s’imposer en tant que médiateur incontournable, notamment dans les pourparlers pour les accords du blé entre la Russie et l’Ukraine. Il est possible qu’il continue à chercher des opportunités de médiation et à renforcer son rôle de joueur clé dans la résolution des conflits mondiaux.

La victoire d’Erdogan aux élections présidentielles turques souligne le choix des électeurs en faveur de la stabilité politique. Du fait des divergences et des tensions au sein de la coalition d’opposition, les Turcs ont préféré accorder leur confiance à Erdogan, qui promet la continuité et la pérennité du pouvoir.

La victoire de l’AKP aux élections parlementaires confirme la position dominante du leader réélu, renforçant ainsi son pouvoir exécutif.

Cependant, ces résultats soulèvent également des défis auxquels l’opposition est confrontée pour se rassembler et faire face à un président qui semble inébranlable.

Les prochains chapitres de la politique turque, qui débute par le centenaire de la République de Turquie en octobre, seront cruciaux pour observer comment Erdogan utilisera sa victoire pour façonner le pays et consolider son électorat pour les années à venir.