Lorsque des centaines de manifestants en colère et munis de bâtons ont pris d’assaut cette semaine la mairie d’Almaty, capitale économique du Kazakhstan, un slogan était plus audible que les autres: " Dehors, le vieux ! "

Il ne visait pas l’actuel président, Kassym-Jomart Tokaïev, 68 ans, mais son prédécesseur octogénaire, Noursoultan Nazarbaïev, qui a régné d’une main de fer sur le Kazakhstan de son indépendance, en 1989, à 2019.Aujourd’hui encore, le plus grand pays d’Asie centrale, qui compte 19 millions d’habitants et d’importantes réserves d’hydrocarbures, est associé à son ancien dirigeant, qui a conservé une influence forte après son retrait du pouvoir.

S’il cultive l’image de vieux sage modéré, M. Nazarbaïev est accusé par des manifestants de s’être considérablement enrichi avec son clan au détriment de la population, confrontée à des difficultés économiques croissantes.

" Notre Kazakhstan a été transformé en société privée des Nazarbaïev ", fustige ainsi Saule, une manifestante âgée de 58 ans rencontrée par l’AFP à Almaty non loin de la résidence présidentielle, incendiée par les protestataires.

" Nazarbaïev aurait dû quitter (la politique) il y a quinze ans. Un clan vit bien et le reste de la population est pauvre ", abonde Yermek Alimbaïev, un habitant sexagénaire d’Almaty.

Se targuant d’avoir présidé à la forte croissance économique du Kazakhstan pendant deux décennies, M. Nazarbaïev a mis en place un véritable culte de la personnalité qui semblait le mettre à l’abri des critiques.

Ce fils de berger, aujourd’hui âgé de 81 ans, s’est notamment octroyé le titre de " Guide de la nation " (" Elbassy "). La capitale, autrefois nommée Astana, a en outre été rebaptisée Nur-Sultan en son honneur en 2019.

A l’étranger, une armée de consultants grassement rémunérés, comme l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, se sont efforcés de le dépeindre en homme d’Etat réfléchi, attaché à la diplomatie nucléaire et la paix mondiale.

Mais ces images flatteuses ont volé en éclats cette semaine lorsque les manifestations les plus massives depuis l’indépendance du Kazakhstan ont secoué le pays, partant d’une protestation contre la hausse des prix du gaz avant de se muer en émeutes violentes qui ont fait des dizaines de morts.

Scène autrefois inimaginable, des manifestants ont même déboulonné une statue de M. Nazarbaïev à Taldykourgan (sud-est).

Ces troubles se sont accompagnés de rumeurs largement diffusées sur les réseaux sociaux de luttes de pouvoir au sommet de l’Etat entre partisans de M. Nazarbaïev et son successeur.

M. Nazarbaïev, qui n’est pas apparu publiquement depuis le début des manifestations, a appelé samedi, par l’intermédiaire de son porte-parole, à soutenir M. Tokaïev et démenti avoir fui à l’étranger avec sa famille.

Signe toutefois de remous en coulisses, les autorités ont annoncé samedi l’arrestation pour " trahison " de l’ex-patron des services de renseignement Karim Massimov, allié de longue date de M. Nazarbaïev dont il fut le fut Premier ministre.

De plus, un communiqué publié sur le site de la présidence a annoncé le remplacement d’un neveu de M. Nazarbaïev, Samat Abish, au poste de vice-président du Comité national de sécurité.

Enfin, M. Tokaïev, qui a pris la direction cette semaine du puissant conseil de sécurité nationale, dirigé jusqu’alors par M. Nazarbaïev, n’a pas mentionné son prédécesseur lors de ses prises de parole ces derniers jours.

La colère populaire contre M. Nazarbaïev s’explique aussi en grande partie par les scandales impliquant son entourage.

Des fuites de documents et une procédure judiciaire à Londres ont ainsi mis en lumière l’étendue du patrimoine de la famille de la fille aînée du président, Dariga Nazarbaïeva, constitué notamment de propriétés luxueuses à l’étranger.

Roustam Nougmanov, un homme de 48 ans arrivé samedi à Almaty où la situation semblait s’être calmée depuis la veille, estime que les Kazakhs " se sont réveillés " et veulent tourner la page de l’ère Nazarbaïev.

" Il a beaucoup fait pour le pays, mais il aurait pu faire beaucoup plus ", dit-il. " Peut-être en était-il simplement incapable, ou alors est-ce la cupidité, d’autres faiblesses humaines… Il n’a pas cessé de céder à ses faiblesses ".

AFP

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